Le noir fut mon berceau, ma prison.
Ensuite les ténèbres se sont éclaircies et j'ai flotté parmi quelques taches blanches qui jonchaient un océan de bleu sombre et froid. Cela ne dura pas longtemps.
Je tombai dans un infini de jaune éblouissant vérolé de rouge qui suintait hors de cet amalgame où je m'enfonçai. Puis le noir à nouveau. Etait-ce la fin ? Plutôt un commencement.

Disloqué…
Je ne m'en étais pas aperçu. Avant je formais un tout et me voilà épars. Curieuse impression d'être multiple en étant un. Quelque chose est avec moi, nous…. Je ne sais plus. On me frôle, on me questionne. Cette énergie étrange qui cherche à s'associer à moi, quelle est-elle ? Je l'ignore, mais elle nous rend plus fort, plus léger.

Voilà qu'on s'envole de nouveau, tout redevient lumineux, jaune d'or, bleu azur, rouge carmin. J'aime les couleurs, je m'en sentirais presque vivant. Mais ne le suis-je pas ? Bonne question.

Cette énergie s'agglomère, m'enlace, me soulève. Le monde désormais nous appartient. Est-ce sa pensée ou la mienne ? Peu importe, le voyage qui s'annonce me fait envie. D'autres couleurs m'attendent là-bas.

Comme j'ai eu raison d'être impatient ! Nous survolons du vert, à perte de vue. Clair et tendre ou aussi foncé que vénérable, la palette est si vaste que j'ai peur d'en manquer certaines nuances.
Un serpentement turquoise apparaît bientôt… L'énergie m'emporte le long de ce bleu aux reflets changeants, attirée je ne sais par quoi.

Il y a ces points bigarrés et minuscules, de plus en plus nombreux. J'ignore ce que c'est. Cela bouge. Plus vite lorsque nous nous approchons. Ils sont si petits… Nous pourrions en attraper pour les voir de plus près. Mais je ne sais comment faire et celle qui m'accompagne est maintenant pressée.
Elle s'arrête pourtant au dessus de tous ces points. Elle cherche, aux aguets. J'aimerais bien repartir mais elle n'est pas décidée à quitter l'endroit. Est-ce que ce sont ces lignes d'un vert brillant qui la captivent ? Ou ces barres noircies qui la retiennent ?
Curieusement je la sens s'affaiblir. Sa lumière s'enfuit pour plonger dans ce bleu verdâtre... Non ! Il faut partir ! Je n'accepterai pas d'être piégé à nouveau !

Plus loin l'énergie suit d'autres points, trop rapides pour elle. Que veut-elle exactement ? Sans le comprendre je me laisse porter par l'une ou l'autre.
Mais n'est-ce pas de nouveau cet or sans fin que je vois ? Serions-nous revenus au point de départ ? Il faut que je la convainque que ce n'est pas la bonne direction. Qu'elle ne peut pas rattraper tous ces points qui la narguent… Il est inconcevable que des choses aussi imperceptibles nous arrêtent.

Nous avons repris notre route, vers ce vert reposant. Il est plus sombre maintenant, moins luxuriant, moins séduisant, mais assez changeant pour ne pas me lasser.

La multitude au-dessous de nous s'agite toujours. Quelques soubresauts font frémir l'énergie qui me porte mais il n'y a qu'une infime partie de mes sens qui s'en préoccupe. Le reste se focalise sur ces volutes de particules irisées qui montent vers nous, comme une offrande. Que c'est beau, ces lignes multicolores qui cheminent dans l'onde de l'énergie ! Elle s'en repaît, la déguste, s'unit à elle et en redemande ! Et je la laisse faire, voyeur assidu de cette osmose de couleurs.

Nous nous sommes regroupés et j'ai crû l'énergie distraite, comme si elle renonçait soudain à choisir une direction. Je suis pourtant impatient de repartir mais elle ne le comprend pas. Attend-elle quelque chose ? Les vents se lèvent et le ciel change peu à peu de teinte. Nous sommes immobiles dans les convergences... Cela grouille en bas, cela devient pressant, brouillon... J'ai hâte de repartir, ce fourmillement me déplait car il gâche l'harmonie des tons qui habituellement glissent sans accroc de l'un à l'autre.

Quel signal vient de décider du départ ? Le fait est que je me sens de nouveau étiré, éloigné. Mon associée a repris son chemin et m'entraîne vers de nouvelles scènes.

Et nous sommes aux premières loges.

Loin là-bas, de toutes parts, les stries courent et barrent de teintes sombres le vert tendre et les ocres si variés. Tout se mélange en trainées complexes et se propage jusqu'à moi.

Mon amie est plus puissante que jamais. Telle une multitude de griffes, la voici qui taille, perce et déchire.

Tout bouge, tout change, tout explose et je donnerais tout pour que cela jamais ne cesse.