[Suite de la chronique : Du Feu et de l'Eau]

La demande d'Elen lui avait paru étrange, dans un premier temps, avant que la crise par laquelle passait son Clan ne lui revienne en mémoire. Il ne pouvait pas compter sur ses meilleurs soutiens pour effectuer cette mission, les Ashkas du Loup étant tous privés de leur seul moyen de communication avec l'entité de Feu. Aussi, l'Intendant du Faucon accepta, même si la tâche serait ardue, car il ne connaissait que les grandes lignes concernant Lodgé Pyros et n'avait jamais eu à conduire un autre Clan que le sien.
Délaissant le coeur des tourmentes pour se jeter dans une autre, le Faucon s'en retourna d'un pas rapide vers Fernliae. Les Faucons auraient bien d'autres préoccupations, aussi ne pourrait-il compter que sur le Clan du Loup. Il espérait que les principaux concernés seraient prompts à répondre sans se formaliser de ce changement d'Intendant pour le temps de cette mission. Étrangement, les retours furent des plus favorables, brefs mais laissant transparaître une volonté ferme d'en découdre. La Meute, alors éparpillée, se mettait en route vers le même point culminant.

Un soulagement pour l'elfe qui n'avait alors plus qu'à s'occuper des roseaux. Il délaissa plumes et parchemins pour se rendre sur les lieux. Les roseaux dansaient au rythme du vent, leurs longues tiges reproduisant inlassablement ce chant si singulier. En cet instant, on aurait pu croire que rien ne leur perturberait, pas les cages de métal ni même les tourmentes.
Calith s'approcha des pousses les plus vigoureuses pour les extraire de ce cimetière de lames et lances, choisissant avec précision lesquels pourraient le mieux supporter ce voyage dans les confins du désert. La moitié des roseaux furent ainsi retirés de terre et emballés. Il n'attendit pas plus longtemps avant de se mettre en route avec sa précieuse cargaison. Lodgé Pyros les attendait depuis un bon moment, déjà, et Shalassan avait fait part de son empressement à ce sujet.
Aux portes Sud de la cité l'attendait Landeras qui trépignait d'impatience. Un mince sourire lui échappa devant l'enthousiasme du Loup. Lui restait bien plus réservé, sombre devant ce qui les attendait dans le refuge du Feu. Si l'élémentaire n'obtenait pas satisfaction, il risquait d'avoir un problème de plus sur les bras. Et un problème de taille...

A sa grande surprise, le voyage s'était déroulé sans encombre.
La défense elfique semblait bien mieux organisée qu'à l'accoutumée, car le seul ennemi qu'ils croisèrent furent la géante Acacalys, blessée et traquée par une demi-douzaine d'elfes. Mais cela n'apaisa pas pour autant ses craintes. Cette traversée, il l'avait déjà effectuée par le passé, et les mêmes pensées noires lui revenaient inlassablement, le réveillant en sursaut en milieu de nuits, le forçant à braquer son regard vers l'horizon et effectuer des rondes régulières dans un état de fatigue avancée. En ces instants troubles, il en oubliait presque sa mission, mais dès que le jour se levait, il repartait d'un pas rapide, les roseaux en travers des épaules.
Leur transport s'avérait d'ailleurs des plus éreintants, le forçant à changer régulièrement de position pour s'assurer une meilleure prise, voir d'organiser des relais lorsqu'il en avait l'occasion. Les Loups marchaient en périphérie de visions des uns des autres, ce qui rendant bien plus aisé le repérage mais plus ardu une défense rapprochée et le laissait souvent seul avec son encombrant paquetage. Sa marche était d'autant plus ralentie par les vents violents en provenance des terres inexplorées, soulevant des impressionnantes quantités de sables dans sa direction. Le Faucon avait repris ses vieilles habitudes, face à cette nuisance, relevant sa capuche profonde et couvrant son visage d'une étoffe, troquant sa cape couleur nuit pour une blanche immaculée qui contiendrait davantage les rayons des Titans.
Il en venait à repenser à Ash, l'homme du désert qui lui avait enseigné toutes ces astuces durant ces longues années dans les Monts de la Désolation. Peut-être pourraient-ils se permettre un détour afin de le prévenir de l'importante mission qui était en cours ? Non... Après tout, il s'était retiré depuis un moment maintenant, et il prendrait certainement ces évènements avec un détachement impressionnant. Il ne pouvait plus se reposer sur son vieil ami, mais il savait d'avance qu'il parviendrait au gouffre des Lunes sans encombre, de par son expérience dans ces lieux reculés.
Comme pour confirmer ses réflexions, Nivalis prit son envol, planant et battant frénétiquement des ailes par intermittence, à l'aise dans les rafales de ses contrées natales. Elle disparut bientôt derrière les imposants nuages. A y repenser, la saison des Vents était bien avancée, était-il réellement étonnant de voir de si puissantes tourmentes jaillirent du Sud des terres après le dérèglement causé par la comète en cette saison ? Peut-être disparaitraient-elles tout simplement une fois l'Engourdissement proche ?

Il secoua lentement la tête, chassant une nouvelle fois les pensées qui l'assaillaient pour se concentrer sur sa mission actuelle. Les Monts de la Désolation étaient tout proches, Odeli et Milka ayant déjà entamé cette difficile montée. Cela risquait d'être assez technique pour atteindre les sommets sans endommager sa précieuse cargaison. Calith maugréa à voix basse face à ces roseaux qui lui causaient, décidément, bien des problèmes, puis se résolut à se mettre en route. Il effectuait des détours importants pour trouver des pentes moins abruptes qui lui permettraient de déposer régulièrement les roseaux en équilibre entre deux roches. A force de les tirer, pousser, tout en s'assurant des prises avec parfois une seule main, il arriva à se frayer un chemin, se félicitant de connaître les lieux presque autant que la Forêt des Cendres. Et les Monts avaient l'avantage d'être bien moins changeants, moins sensibles au passage des années ...

Il retrouva Milka, le jeune disciple d'Elen, qui attendant devant l'embouchure du Gouffre des Lunes. Il semblait pressé, et à peine le vit-il à l'horizon qu'il s'engagea à l'intérieur. Calith n'eut pas le temps de le retenir, il aurait pourtant été préférable d'attendre les autres Loups restés en arrière. N'ayant plus le choix, l'elfe s'engagea avec de nombreuses réticences à sa suite.

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D'un geste de la main, il retira le pan de tissu qui lui cachait le visage. Ils respiraient mieux, à l'intérieur, les sables portés par le vent ne les gênant plus. La lave éclairait le lieu d'une lumière tamisée, révélant une étonnante rivière encerclant l'embouchure, mais aussi la cage de roches qui les isolaient entièrement du dehors. Le Faucon grimaça, se promettant de s'attarder le moins possible en ces lieux.
Il déposa les roseaux à ces côtés, ses bras meurtris par leur transport, restant non loin de l'entrée. Milka, quant à lui, s'avança vers la source de chaleur, s'inclinant devant un feu flamboyant qui commençait alors à prendre forme, s'agitant lentement à son approche.
"Nous avons ce que vous voulez." déclara t-il.
Le Faucon ouvrit de grands yeux en apercevant les flammes prendre de l'ampleur, atteignant la taille de deux géants. Des étincelles se rapprochaient dangereusement, entraînant chez lui un recul instinctif. Elle semblait désigner un endroit près de la rivière, forçant son regard à les suivre. Du sable et de l'eau, étonnante combinaison qui pourtant ...
"Je n’aurais jamais crû que cet endroit puisse être propice aux roseaux, au final...”
Il s'était longtemps demandé ce qu'un élémentaire de feu pouvait bien faire de plants magiques qui disparaîtraient en cendres au moindre contact, mais l'entité semblait avoir tout prévu. Plutôt satisfait de ne pas avoir subi la morsure du feu dès son arrivée, avec le retard qu'ils avaient pris, Calith se dépêcha de retirer la toile recouvrant les roseaux pour les planter à l'endroit indiqué. Un cerf se tenait en face de lui, le fixant de son regard intelligent. Il creusa frénétiquement un trou dans le sable, à l'aide de ses sabots, pour lui faciliter la tâche. Malheureusement, quand on se souvenait du mal qu'ils avaient eu à extraire les roseaux, cela ne suffirait pas.
Il s'acharna pourtant à la tâche, pestant contre ce sable qui n'avait aucun tenu, les emplacements se rebouchant bien vite.

Nil’nelia, devenue presqu'une louve comme les autres depuis son mariage avait accompagné Calith, le visage fermé par l’angoisse. Elen, son mari, ne pouvait les accompagner, perdu dans ses recherches pour tenter de découvrir l’origine du mal qui rongeait son clan et empêchait toute Transe. Pourtant, seules les Transes semblaient permettre une réelle communication avec Lodge Pyros, l’élémentaire de feu du Gouffre des Lunes.

Je vais trouver un autre moyen, ne cessait-elle de se répéter, je vais faire honneur à ma nouvelle famille. Et pourtant, rien ne lui venait à l’esprit. Comment communiquer avec quelque chose qu’elle n’arrivait à comprendre. Après les morsures du vent brûlant et du sable du désert, le Gouffre semblait un… havre de paix. Enfin, elle se rappelait les journées passées à chercher des cristaux, tout ce temps à arpenter ces sombres crevasses où tant de membres de l’expédition auraient pu se briser le cou. C’était loin derrière et pourtant… cette descente lui rappelait de nombreux souvenirs, tout comme cette pâle lueur émanent de la roche en fusion. L’eau elle-même n’était pas d’un grand réconfort. Et là, jaillissant du sang de la terre, Lodgé Pyros, presque imperturbable.

« J’ai comme une impression de déjà vu… fit-elle, en apercevant Milka face à l’élémentaire. »

Il y a de cela de nombreuses saisons, c’était Elen qui se tenait à cette place et qui tentait de sauver les Forestiers. Elle aperçut un cerf, celui qui accompagnait Faceo remarqua-t-elle. Ses pieds agiles lui avaient permis d’atteindre ces profondeurs sans problème. Et Calith, portant ces incroyables roseaux. Creuser comme ils le faisaient lui semblait dérisoire. Il avait fallu creuser tellement plus profondément dans la mer d’Emeraude. Et là… impossible avec le sable qui retombait à chaque instant. Et ils n’avaient pas pensé à ça avant de partir. Enfin, Calith n’était pas venu avec eux la première fois. Un sourire se dessina sur ses lèvres.
La presque Louve se rapprocha du groupe.

« Calith, attends, tu n’y arriveras pas ainsi… Le sable, si sec, retombe à chaque instant. On pourrait le mouiller pour pouvoir mieux creuser et transporter le sable extrait. Ainsi, même sec, il ne nous gênera plus. Et puis, lorsque nous commencerons à atteindre une bonne profondeur, nous utiliserons les planches de bois que j’ai ramené pour consolider les bords du trou. Ce sera normalement suffisant pour éviter qu’il ne se rebouche. Aller ! »

Nil’nelia décrocha les planches qu’elle avait en travers du dos. Elles étaient un peu abîmées par le sable du désert mais suffisamment résistantes pour ce qu’elle voulait en faire. Il fallait répartir les taches.

« Bon, Calith, tu es plutôt fort, tu vas creuser ! Merci Nana…who, pour le trou que tu as commencé mais, malheureusement, je crains que tu ne prennes trop de place dans le trou, une fois qu’il sera un peu plus profond… Mais j’ai un gros rôle pour toi. Vous tous, accrochez vos gourdes sur ses bois. Tu les rempliras d’eau et tu nous les amèneras. Ainsi le sable, malgré la chaleur sera toujours humide et plus facile à creuser. Aileen, Tiamath, Il faudra que vous déblayiez le sable évacué. Vous pouvez vous en charger ? Faites un tas un peu plus loin, mais pas trop. Landeras, et Milka, rejoignez Calith dans le trou. Les hommes au travail.
Nanawho, je vais aider à humidifier le trou avec mon contrôle de la magie… Mais surtout, dès que vous rencontrer des pierres en profondeur, je les extrairai, ce sera plus rapide. La vache, tu te chargeras des pierres extraites pour les mettre plus loin. Et lorsqu’on plantera les planches, tu seras d’une grande aide ! Allez, tout le monde au boulot. »

Elle avait repris un ton qu’elle ne connaissait plus. Elle avait déjà dirigé la plupart d’entre eux avant de prendre sa « retraite » mais aujourd’hui, elle n’attendait pas d’objection de leur part. Il fallait faire vite. Lodgé n’avait que trop attendu et une telle chaleur serait néfaste pour les roseaux. De son côté, Elle refroidissait aussi l’eau qu’on versait à intervalles régulier sur les roseaux pour ne pas qu’ils se dessèchent.

Les choses étaient en place.

Après la mer, le désert.
La végétation n'avait même pas encore fait complètement place au sable et pourtant Aileen pestait déjà contre le vent du sud qui lui charriait le sable au visage. Il fallait bien l'avouer, elle n'avait aucune expérience en la matière et la progression était plutôt compliquée.
En plus Nephitos ne lui avait pas conseillé grand chose d'utile, il préférait qu'elle se débrouille par elle même, qu'il avait dit...

« -Tu parles, ouais... C'est pas lui qui avale du sable, en attendant ! »

S'en suivit une ribambelle de jurons divers et variés impliquant divers noms d'oiseaux, le tout dirigé à l'encontre du vent, du sable et du désert en général...
Prise dans ses réflexions assez peu philosophiques, elle remarqua à peine la présence d'un tout jeune elfe qui semblait se diriger dans la même direction qu'elle, mis à part qu'il ne savait pas vraiment dans quelle direction il devait aller.
Aileen n'avait pas envie de le laisser tout seul dans le désert, il était très jeune... A eux deux, ils reprirent la route, discutant un peu de tout mais surtout de la mission qui les amenait là. Ils avançaient lentement, luttant contre le sable qui s'infiltrait partout et contre la chaleur étouffante du désert. Leurs réserves d'eau diminuaient à vue d’œil malgré leurs efforts pour l'économiser et leur sens de l'orientation était mis à mal par les dunes qui s'étendaient à perte de vue. Le soleil et les étoiles restaient leurs seuls repères.

Au milieu de l'une de ces très longues journées de marche, harassés, ils aperçurent enfin les montagnes au loin. Perchés au sommet d'une dune, ils n'apercevaient qu'une fine bande bleutée posée sur l'horizon, à peine plus foncée que le ciel. Ce n'était rien, la route était encore longue, mais cela suffit à remotiver les deux jeunes elfes.
Quelques temps plus tard, alors qu'ils apercevaient les premiers contreforts des montagnes, Aileen partit devant, laissait Ahenyel seul, non sans lui indiquer le plus précisément possible où il pourrait trouver le Gouffre des Lunes. Le reste du chemin serait plus simple et après avoir traversé tout un désert, l'enfant, même resté seul, serait tout à fait capable de se débrouiller.

Progresser en montagne s'avéra bien plus facile que prévu. Avantagée par sa petite taille et son poids plume, Aileen n'avait pas de mal à sauter de rochers en rochers et à escalader quelques barres rocheuses qui lui bloquaient la route. Surtout qu'elle n'était pas chargée par des roseaux de plusieurs mètres de long... Elle eut une pensée pour Calith, qui avait du avoir bien du mal à les acheminer jusqu'ici...
Il lui fallut très peu de temps pour rejoindre la grotte et y entrer. Lorsqu'elle déboucha sous la voute de pierre, elle s'arrêta un instant, impressionnée par ce décor où se mêlaient sable, eau et lave, le tout doucement éclairé par les rivières de roche en fusion. Et puis au fond, il y avait cette créature de flamme, immense et flamboyante. Aileen n'eut pas besoin qu'on lui fasse les présentations pour comprendre qu'elle avait en face d'elle le fameux Logdé Pyros...

« -Ha ouais, il est quand même vach'ment impressionnant... ! »

Bien qu'elle n'ait fait que murmurer, Aileen espéra en son for intérieur que l'élémentaire n'ait pas l’ouïe suffisamment fine pour l'entendre...

Du coin de l’œil, elle aperçut Calith, au bord de l'eau. Le faucon semblait aux prises avec les roseaux et un trou dans le sable. Aileen sourit et s'avança à petits pas pour proposer son aide. Bien évidemment, l'intendant lui répondit par l'affirmative, non sans abandonner son habituel ton un peu ronchon.

« -Par contre, c'était bien joli tout ça, pensa Aileen, mais comment on va s'y prendre.. ? J'sais creuser dans le s... Encore du sable c'est une manie, ou quoi ? Entre la mer, le désert et ici... »

Elle n'eut pas le temps d'aller au bout de sa pensée que Nil'Nelia prenait déjà les choses en main, donnant des ordres à tout le monde... Et le plan qu'elle mettait en place semblait plutôt efficace, du moins, dans la théorie.
C'était plutôt amusant de retrouver la Nil'Nelia d'avant, celle qui donnait des ordres et qui commandait.
Et comme par le passé, quand elle s'adressait aux Sylphes avec ce ton impérieux, tout le monde se mit au travail rapidement. Aileen et Tiamath déplaçaient le sable, Calith, Milka et Landeras creusaient, Nil et Nanawho mouillaient le sable... Tant et si bien que le trou fut très vite creusé et les roseaux plantés. Aileen et Tiamath rebouchèrent le trou avec le sable qu'elles avaient transporté.

Accroupie devant les roseaux, Aileen levait la tête en direction de la voute. La première fois qu'elle avait vu les plantes, elle n'aurait jamais parié que qui que ce soit puisse réussir à les faire rentrer dans une grotte...
Mais ils l'avaient fait. La promesse des Loup était tenue.

Une fois les roseaux plantés, des bourrasques violentes s’engouffrent dans les galeries et les Esprits de Feu, toujours en lutte avec les petits élémentaires d’eau qui essaient de détruire les pans de roches gagnent en puissance. Plus rapides, plus intenses, ils prennent peu à peu l’avantage. La bataille fait rage et les structures fragiles des galeries se fissurent. Des blocs de roche tombent du plafond et des crevasses laissent bientôt apparaître la lumière du jour, très loin au dessus.

Sans doute satisfait de la tournure des événements, Logdé indique au groupe des éboulis récents où se trouvent de grandes quantité de métaux.

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Nil’nelia était plongée dans la contemplation du spectacle élémentaire. Le feu affrontait sûrement l’eau depuis des temps immémoriaux et, grâce aux roseaux, il devenait plus fort… Les Tourmentes, sûrement des représentations du vent, avaient été attirées par les roseaux… Sûrement par la poudre bleue que leurs racines attiraient. Par l’énergie magique que les roseaux attiraient. Shalassan avait semblé connaître déjà ces roseaux… C’est ce qu’elle avait tiré de quelques conversations avec Elen. Il savait que ces roseaux attiraient la magie et visiblement, la magie d’air ! Ce qui venait de se passer dans le gouffre confirmait ses soupçons et offrait peut-être de créer une réelle défense autour de Na’helli. Le vent ravivait les élémentaires de Feu. Mais elle n’était pas là pour ça.

Les morceaux de roche tombèrent du plafond, dévoilant des métaux précieux. Elle-même n’était pas venue pour les ressources mais pour communiquer avec le Seigneur du Feu. Elle n’était pas capable d’effectuer des transes même si, ses nombreuses heures passées avec son mari lui avait dévoilée de nombreux secrets sur les Transes. Mais, elle possédait un savoir magique et une approche des éléments plus fine que celle des elfes des Lunes. Attendant que les choses se calment pour éviter les chutes de pierre du plafond de la grotte, elle réfléchit. Ce qu’elle allait tenter était plus que dangereux et, si Elen avait été là, il l’en aurait empêché. Mais peut-être était-ce un signe… Déglutissant avec difficulté elle se rapprocha de la fournaise. Elle ouvrit rapidement les boutons supérieurs de sa tunique, même si cela ne changeait rien à cette température. Ses connaissances du feu étaient médiocres, comparées à son savoir sur la glace et la foudre, mais, elles n’étaient pas nulles, loin de là.

Elle ferma les yeux, faisant le vide dans son esprit, comme le lui avait dit Elen. Puis, elle pensa à une idée, une idée fixe, l’élémentaire de feu, les flammes, la chaleur, ces flammes qui dansaient sur sa peau. Elle sentait la présence imposante de Lodgé Pyros. Elle sentait sa puissance, dévastatrice comparée à sa propre résistance. Mais, sa détermination n’avait pas de bornes. Trop de choses pouvaient en découler. Sa respiration ralentit. Son cœur, imperceptiblement d’abord, battit moins fort. Puis, elle se mit en tailleur. Elle n’entendait plus les bruits extérieurs, un simple bruissement des flammes et, sourds, graves, les battements de son cœur. Posant ses mains sur ses genoux, paumes vers le ciel, elle commença à libérer, très doucement sa magie. Elle n’avait pas besoins d’ouvrir les yeux pour savoir ce qu’il se passait. Au-dessus de ses paumes s’agitait l’air jusqu’à ce qu’il chauffe et forme une flamme. L’énergie libérée au centre de ses mains faisait grandir les flammes.

« Le foyer incandescent, un sort dévastateur. Il consiste à faire sortir ton mana par tous les pores de ta peau, d’un seul coup… L’énergie libérée embrasera ce qui t’entoure et brûlera quiconque se trouvera trop prêt. Tu comprends ? lui avait demandé son Oncle. »

Aujourd’hui, elle ne voulait pas brûler ceux qui l’entourent, elle voulait ne faire qu’un avec le feu. Au début, les flammes étaient confinées dans ses mains, mais petit à petit, elles se propagèrent le long de ses bras, jusqu’aux épaules, puis, elles descendirent le long de son dos, en suivant sa colonne vertébrales. Elle était confiante… Il était temps d’étendre son esprit vers Lodgé Pyros… C’est là que tout s’accéléra. Les flammes jusqu’alors indolentes grandirent. Elles recouvrèrent en un instant le corps de l’elfe, carbonisant ses vêtements. Elle paniqua… jamais une telle chose ne s’était produite avant. Les flammes atteignirent son visage...

Aidez-moi tenta-t-elle de crier. Mais au lieu d’un cri, les personnes présentes dans la grotte ne virent qu’une déflagration.

Cette fois, il pleuvait des pierres...
Sans prendre le temps d'admirer la bataille élémentaire qui faisait rage au dessus de leurs têtes, Aileen recula de quelques pas, se protégeant la têtes de ses bras alors que la roche se brisait. Heureusement, à part quelques graviers qui lui rebondirent sur la tête, la plupart des gros rochers tombèrent à l'écart, si bien que personne ne semblait blessé.
Les quelques minutes qui suivirent, le groupe les employèrent à ramasser les ressources que Logdé leur avait cédé...Tous, sauf Nil'Nelia qui semblait plus intéressée par l'élémentaire de feu lui même.

Personne ne comprit ce qu'elle avait l'intention de faire, personne n'essaya de l'en empêcher. C'est seulement lorsqu'une puissante déflagration retentit dans la grotte que les Sylphes réagirent. Enfin, réagir... C'est un bien grand mot...

Sur le coup, Aileen resta interdite, se demandant ce qui se passait. Et puis à mesure que ses yeux s'habituaient à la soudaine clarté qui illuminait soudain les lieux, elle aperçut une silhouette au milieu des flammes...

« -Nil ?! Mais... Qu'est ce qu'elle fait ??? »

Le feu avait l'air d'être issus de la magie de l'elfe noble. Aileen siffla entre ses dents... La magie, elle n'aimait pas beaucoup ça, et voilà qu'il fallait éteindre un brasier magique.
A côté d'elle, Calith fut plus prompt à réagir. Sans dire un mot, l'intendant se saisit d'une des toiles qui enfermait les roseaux et la plongea dans l'eau, rabattant les bords de la toile vers le haut pour piéger l'eau à l'intérieur. Par contre, soulever toute cette masse d'eau semblait plus difficile. Aileen courut vers lui pour l'aider. A deux, la tâche était plus aisée, mais l'eau coulait entre les mailles du tissus... Pour éviter de tout perdre avant d'arriver jusqu'à Nil, Aileen et Calith se mirent à courir vers les flammes.
La Cerf n'étais pas certaine que l'eau suffirait à éteindre les flammes issues de la magie de Nil, mais il fallait l'espérer...

Arrivés à quelques pas de Nil, ils lâchèrent les bords de la toile et une trombe d'eau atterrit sur la sylphe, éclaboussant également les deux elfes des Lunes et tombant dans la lave non loin de Logdé, se changeant en nuages de vapeur...

Nil’nelia avait perdu rapidement connaissance… Elle n’avait qu’une pensée fixe, après la surprise de l’embrasement, parler avec l’élémentaire de feu. Lodgé, Lodgé, pensait-elle très fort. Extérieurement, ses pensées de feu donnaient une nouvelle vigueur aux flammes. En manque d’énergie magique, elle s’effondra, inconsciente. Lodgé, écoutez-moi... Les flammes se calmaient mais, même si elles étaient moins violentes et incontrôlables qu’au démarrage, elles n’en restaient pas moins puissantes... surtout dans cette atmosphère surchauffée.

« N’oublie jamais, les sentiments sont une part importante de la magie ! Les nobles ont voulu cadrer la magie, en faire une discipline plus qu’un art. Les sentiments et la passion ne sont pas révélés aux jeunes mages. Mais si tu regardes bien, les plus puissants sont bel et bien les plus passionnés. Mais fais attention, ne te perds pas dans tes sentiments. » Son oncle avait essayé de la prévenir lorsqu’il lui avait appris les bases de la magie. Mais ce jour, si elle en avait eu la capacité, elle n’aurait pas manqué de remarquer la justesse de ses propos.

Puis tout à coup, ce fut le choc. Même dans sa pseudo inconscience, elle sentit les trombes d’eau s’abattre sur elle. Une tentative inespérée pour éteindre des flammes, mais ce n’était pas des flammes qu’il fallait calmer mais du mana à l’état pur. Cependant, bien vite, les flammes s’éteignirent. L’elfe gisait devant eux, inconsciente. De ses vêtements, il ne restait que quelques morceaux carbonisés. Mais le plus étrange était cette faible lueur qui émanait de sa peau elle-même. La magie n’était pas éteinte, mais, à bout de force, presque plus aucun pouvoir n’émanait de l’elfe.

Nil’nelia, quant à elle ne ressentait plus rien, s’égarant dans l’ombre. Elle avait cru un moment réussir à effleurer une conscience étrangère mais était-ce le cas ou simplement une hallucination due à sa faiblesse…

Logdé n’arrivait pas à mettre une logique sur le comportement des mortels devant lui : le plus frêle qui s’asseyait à quelques centimètres à peine des mares de lave en formation, et l’autre un peu plus épais qui voulait combattre pour lui...
Pourtant l’endroit paraissait inconfortable pour eux et le plus frêle ne tarda pas à chanceler lorsque le doux cocon des flammes l’enveloppa. Il aurait bien voulu l’aider mais il comprenait bien que leurs natures étaient par trop différentes.

Quant au second... Il voulait le coeur d’un esprit. Mais ce n’était pas le moment. La guerre prenait la tournure que Logdé attendait depuis longtemps. Chaque parcelle élémentaire était capitale pour vaincre et Logdé n’était pas disposé à affaiblir ses forces, aussi infimement que cela fût. Et puis d’autres esprits avaient déjà été donnés aux mortels, ils n’avaient qu’à s’arranger entre eux pour en tirer les bénéfices.

Logdé regarda un instant le marteau puis le champ de bataille qui enflait de plus en plus dans la caverne, faisant tomber des pans de roches et disséminant de la vapeur toxique de plus en plus près.
Il secoua lentement la tête en signe de dénégation puis disparut dans le brasier qui devait servir de ”porte” vers son domaine.

Plusieurs minutes plus tard le sol se mit à trembler, quelques secousses brèves et à peine perceptibles, puis plus longues et plus violentes résonnèrent de toute part...

Calith n’avait pas rechigné à la tâche. C’était même agréable de voir certains se mettre en avant et se sentir concerné par leurs missions. Nil’Nelia avait repris, un court instant, son ancienne prestance, comme libérée de la passivité qui l’avait gagné. Le Faucon prônait toujours la rapidité et l’efficacité, aussi se contenta t-il d’exécuter les ordres avec précision, laissant le soin à l’ancienne Chef des Sylphes d’organiser le travail.
Une fois les roseaux plantés, ils assistèrent à une spectacle rare et pour le moins impressionant. Le pouvoir des plants se révélait à sa pleine capacité, le vent s’engouffrant, attisant les flammes. La bataille de longue haleine entre le feu et l’eau prenait fin dans un vacarme étourdissant. La roche se fissura dans un craquement sonore sous le choc des combats, arrachant un cri muet au Faucon. Le plafond risquait de s’effondrer ... Il ne pouvait pas rester ici !
Ses jambes, pourtant, refusèrent de le porter jusqu’à la sortie. Une terreur insoupçonnable le bloqua dans son élan, l’Erèbe lui revenant en mémoire. Les abysses, les ténèbres, les entrailles de la terre ... Non, ça ne pouvait pas recommencer !
- ...lith ...?
Il avait beau se boucher les oreilles, il lui semblait encore entendre les pierres tomber par-dessus sa respiration haletante. Il avalait de la poussière... Il commençait à étouffer. Il refusait d’y retourner !
- Calith !
Il sentit une main se déposer sur son épaule, une deuxième le forcer à lâcher prise et écouter. Le bruit assourdissant avait cessé, mais il avait encore du mal à respirer. Il rendit un regard vague sans vraiment voir qui lui parlait... Tiamath, peut-être ? Après tout, il était rare qu’elle le nomme autrement.
- Tu es blessé ?
- Non, répondit-il d’une voix étrangement basse.
Il se força au calme, son regard balayant les environs. Personne n’était blessé, et à vrai dire, l’effondrement se révélait négligeable. Heureusement pour lui, la cacophonie avait été suffisante pour qu’on ne prête pas attention à son excès de faiblesse. Lui qui avançait toujours avec une extrême assurance... Il n’était pas certain de le supporter. Chacun semblait s’intéresser désormais aux pierres entassées et, à mieux y regarder, parmi les banales roches se trouvaient des minerais de grande qualité. Un dernier présent de cet esprit de feu ? La promesse avait été honoré. La mission menée à bien. Un soupir de soulagement passa ses lèvres.
Tous s’activaient à ramasser les trouvailles, en prenant le plus possible, laissant parfois derrière eux certaines breloques pour faciliter le transport. Tous... Ou peut-être pas. Une lumière vive les surprit, non loin de Lodgé Pyros, la chaleur montait subitement au point de les faire suffoquer. Mais la source de cette énergie puissante n’était pas celle que l’on aurait imaginé. Nil’Nelia se trouvait en son centre, leur portant un regard alarmé face à son mana qui s’emballait. Quelle folie avait-elle commise ? Elen ne lui pardonnerait jamais !
Retrouvant subitement l’usage de ses jambes, il se précipita vers l’eau, remplissant les toiles des roseaux du mieux qu’il pouvait. Encore une fois, il put compter sur l’appui d’Aileen mais cela ne sembla pas suffire. Le coeur du problème était tout autre et, malheureusement, aucun mage ne se trouvait sur place pour lui apporter son secours. Au moins, Nil’Nelia ne ressemblait désormais plus à une torche humaine.
- Sortons d’ici ! Clama t-il, d’une voix plus vive et autoritaire.
Il s’inclina à peine devant l’élémentaire de feu, qui fixait la scène avec intérêt, se rapprochant de la jeune femme inconsciente pour vérifier son état. Pliant un genou à terre, l’Intendant la prit dans ses bras pour la porter sur une courte distance ... Et la balancer à l’eau sans aucune délicatesse. L’élément opposé devrait lui faire le plus grand bien, et il espérait plus que tout qu’elle reprendrait ses esprits, car ils ne pouvaient plus se permettre d’attendre. Déjà, le sol se remettait à trembler, avec plus d’insistance... Il se glissa dans l’eau à sa suite, la saisissant par le col pour lui permettre de respirer à nouveau. ”Debout, Nil’ ! On a plus le temps !”
Il se retourna alors vers les personnes présentes qui paraissaient toutes attendre un signe positif. Il reprit sur un ton pressé : ”Direction Na’Helli !”