Fernliae, fin de la Saison des Vents

Raksha avait suivi un temps les Tourmentes. Elles s’étaient rassemblées au centre d’Olympia et semblaient s’être assoupies. Autour d’elles, quelques géants s’acoquinaient ou s’opposaient avec les membres de l’Alliance forestière présents. Il fallait avouer que la présence d’une carrière disposant de ressources stratégiques rendait l’Empire nerveux. Le jeune sauvage décida bien vite qu’il n’avait que faire de ce combat. Les tempêtes avaient cessé de semer la destruction de leur sanctuaire forestier et c’est bien là tout ce qui lui importait. Si certains voulaient encore s’amuser de leurs facéties, grand bien leur face.

Sur le chemin du retour, il put à nouveau constater combien la jeune nature entourant le refuge sauvage avait souffert. Cela lui donna matière à réflexion tandis qu’à Fernliae, de nouvelles élections se profilaient. Il s’était déjà proposé pour un mandat il y a quelques années mais il n’avait pas réussi à convaincre. Devait-il pour autant refuser toute responsabilité alors que son peuple continuait de s’éteindre au cours du temps ? Non, il devait rentrer au refuge déclarer son envie d’œuvrer pour son peuple. Se faisant, il croisa de loin le convoi des sylphes qui allait porter son précieux dû au seigneur élémentaire Logdé Pyros. Ceux-ci partis, il ne restait plus deux sylphes à Fernliae. Le refuge avait retrouvé une quiétude agréable.

Passant devant les roseaux qui continuaient à proliférer dans les marais de la cité, le sauvage ne put s’empêcher de penser aux longues heures où il les avait contemplés tout en ourdissant des plans pour les détruire… ce qu’il n’avait jamais mis en pratique ! Quelle magie pouvait-il donc bien recéler ? Encore une fois, les sylphes avaient partagé peu d’informations à leur sujet. Ils devaient les étudier plus en détail…

… mais ils n’étaient pas là !

Raksha décida donc de commencer les recherches à leur sujet. Peut-être y avait-il une chance qu’il puisse faire quelque découverte d’importance ?

Carnet de Recherche

Jour 1 – Étude préliminaire

Les roseaux poussant à Fernliae sont la seconde génération d’une variété originaire de la Mer d’Emeraude. Plus d’informations ont été demandées à ce sujet à la conseillère Amallya qui a visité les lieux en compagnie des Sylphes.

Extérieurement, rien ne les distingue des roseaux ordinaires déjà présents dans les marais de notre forêt.

Une recherche dans la vase environnante ne m’a pas permis de déterminer la présence de grains bleutés dans les racines de ces plantes. Peut-être les végétaux sont encore trop jeunes pour avoir absorbés les éléments nécessaires à la création de la poudre bleutée utilisée par Thalie et d’autres pour détourner l’attention des Tempêtes.

Jour 2 – Étude sur les propriétés magiques

J’ai choisi un petit plant composé d’une dizaine de spécimen pour mener mes expériences. Ainsi, je pense pouvoir les manipuler à ma guise sans devoir affecter le développement des pousses principales. Le but de la manœuvre est de déterminer si ces plantes possèdent des propriétés magiques qui, comme le prétendent les Sylphes, pourront servir à la défense de notre refuge.

La première expérience consiste à les soumettre à un élément toxique capable de menacer leur survie. J’ai pour cela soumis quelques roseaux du plant à un air empoisonné.

Nous conclurons donc que l’homme sauvage n’est pas du tout adapté à l’empoisonnement de l’air. Le chercheur ne devra plus oublier qu’il ne bénéficie plus des félicités de son ancien protecteur qui empêchait son empoisonnement. Les recherches sont ajournées.

Jour 4 – Étude sur les propriétés magiques (suite)

Des nouvelles de Na’Helli sont arrivées. Amallya n’a pu m’apporter d’éléments pertinents quant à l’écosystème d’origine des roseaux. Dommage…

Les végétaux ayant été soumis aux tests d’empoisonnement hier ont l’air de l’avoir mieux vécu que moi. Quelques traces mineures de jaunissement sur les plantes. Réitérer le test en fin de journée.

Une autre partie du plant a été soumis à un autre test de résistance. J’ai utilisé le savoir elfique appris auprès des maîtres de la Tour de Jade pour modifier les particules d’eau se trouvant autour des roseaux. Certains ont ainsi été baignés dans une brume vaporeuse tandis que d’autres ont été gelés. La vapeur ne semble aucunement les gêner tandis qu’il faudra attendre que les roseaux dégèlent pour connaître exactement leur résistance à la glace.

Jour 5 - Étude sur les propriétés magiques (suite)

Le jaunissement des roseaux soumis à l’empoisonnement de l’air environnant se poursuit. Leur endurance semble cependant surpasser celle d’un roseau habituel. Je me demande bien pourquoi… Réitérer le test pour en avoir le cœur net.

Les roseaux soumis au gel ont pourri. Leur prévoir une petite laine
pour passer les saisons froides.

J’ai réalisé un nouveau test. Plutôt que de les soumettre à une contrainte externe, j’ai décidé de renforcer les échantillons restants à l’aide de la magie de Gaia. Les roseaux semblent avoir apprécié le traitement et ont l’air beaucoup plus vigoureux que les spécimens de base. J’ai appelé ce sous-groupe RMR pour Roseaux Magiquement Renforcés. Néanmoins, cela ne m’a absolument rien appris sur leur potentiel. Je commence à me demander si les Sylphes n’ont pas tout inventé.

Jour 6 - Étude sur les propriétés magiques (suite)

J’ai trouvé !

Une étude plus poussée du test d’empoisonnement à la longue vue m’a permis de déterminer comment ces roseaux résistent mieux que les autres à cette contrainte. Il semblerait que l’air les entourant cherche à éloigner l’élément néfaste du végétal. Néanmoins, cette protection n’est pas suffisante pour se prémunir totalement de la menace.

Un lien à l’élément aérien serait donc leur caractéristique principale. Est-ce pour cela que les Tempêtes étaient intéressées par ces plantes ? Voulaient-elles se renforcer grâce à leur aide ?
De plus amples investigations seront nécessaires mais je dois avouer que pour le moment, je n’ai pas trop d’idées sur le comment poursuivre ces recherches. Nous verrons bien demain. La nuit porte conseil surtout si Shalassan a terminé ses confitures !

Jour 7 - Étude sur les propriétés magiques (suite)

La terre a durement tremblé au nord de la forêt !

Je me demande bien ce que les Sylphes ont encore foutus !

Les recherches sont provisoirement interrompues.

Il avait accumulé un retard ahurissant sur cette mission, mais d'autres priorités l'avaient retenues. Les plants pouvaient bien continuer de s'épanouir pendant de longues saisons, la protection du territoire n'attendait pas. Et surtout, il n'avait pas eu l'envie de réclamer ce satané visa pour cette satanée étude. Son Finye dépérissait et se révélait inutile, son potentiel magique était inexistant, mais qu'attendait-on de lui sur cette mission ? Qu'il fasse une danse pour séduire les éléments ? Ridicule.
Il s'attarda un moment en ville, en évitant soigneusement les roseaux, et se résigna finalement à se rendre au lieu dit. Ils étaient aussi immuables et impressionants que quand il les avait quitté. Ils semblaient même se plaire, au sein de la cité des Hommes-Sauvages, se mouvant perpétuellement dès que le moindre souffle de vent les effleurait. Les Sylphes présentes n'étaient pas nombreuses ... Seuls Feirbus et Lenwë avaient répondus à l'appel. Le premier semblait concentrer sur l'étude de leur potentiel magique, se servant de ses compétences en la matière pour percer leur secret, et le dernier devait être aussi penaud que lui.


Qu'avait dit Elen, déjà ? Que ces plants devaient servir à renforcer les défenses de la cité ? La première question à se poser était donc : En quoi le vent pourrait servir à cette forteresse ? En y réfléchissant, il avait vu leur puissance considérable liée à celle de Lodgé Pyros. Les roseaux invoquaient un vent puissant, mais si le vent attisait le feu, il cernait mal l'utilité pour les défenses de Fernliae. Qu'à cela ne tienne, ils avaient suffisamment de plants pour lui permettre de faire une expérience rapide. Il n'avait pas la logique et la patience des mages, aussi laissa t-il Feirbus à son analyse et s'empara de quelques roseaux et de suffisamment de terre pour les poster en hauteur. Il aviserait ensuite.

Raksha était resté plusieurs jours au Centre de Formation de Fernliae afin de s’assurer que la nouvelle section dédiée à l’artisanat fonctionnait bien. Il était impatient de voir les premiers membres de son peuple s’adonner à l’alchimie ou encore à la confection de projectiles. Le jeune conseiller était satisfait de voir ainsi sa politique porter ses premiers fruits. La Forêt avait retrouvé de la quiétude et Fernliae s’épanouissait grâce au commerce.

En parcourant la liste des VISA, un nom retint son attention, celui de Calith. Il se souvenait qu’Elen, le Guide des Sylphes, avait mentionné que c’était l’intendant du Clan du Faucon qui s’occuperait de l’étude des roseaux ramenés de la Mer d’Emeraude. Cela faisait déjà une année que les végétaux s’épanouissaient dans le secteur nord-ouest du Refuge. Il faisait à présent partie du paysage de Fernliae mais leur secret n’avait pas encore été percé. L’intendant chercha dans sa besace un vieux carnet qu’il n’avait plus ouvert depuis de nombreuses saisons. Il contenait ses notes concernant les recherches qu’il avait lui-même menées sur les roseaux. Sans doute était-il temps pour lui de les reprendre, peut-être que ses observations pourraient aider le Sylphe.

L’Ombre quitta donc le Centre de Formation pour se rendre au Marais des Roseaux. La distance était courte étant donné que les deux endroits étaient dans le même quartier du Refuge. Il arriva discrètement et constata que le Sylphe n’était pas seul. Il était accompagné de Lenwë, un loup qui aimait traîner à Fernliae et de Feirsbus, l’ancien conseiller du Refuge qui avait trouvé le nom de leur forêt. Il les observa un moment sans trop comprendre ce qu’ils faisaient. En tout cas, ils n’avaient pas l’air plus botaniste que lui.

Raksha : « Bonjour tout le monde »

Le ton était cordial et le sauvage tâchait de se montrer de bonne humeur malgré la virulence des propos de Calith lors de la publication de la nouvelle politique de visas de Fernliae.

Raksha : « Je me suis dit que vous auriez peut-être besoin d’un petit coup de main »

L’Intendant sortit son carnet de note et le tendit à Feirsbus.

Raksha : « J’ai pu faire quelques recherches préliminaires sur les roseaux. Mes notes se trouvent dans ce carnet. Je ne pense pas vous apprendre quelque chose en disant que les roseaux sont liés à l’élément aérien. Cependant, je n’ai jamais réussi à manifester leur pouvoir autrement que sous la contrainte. Ils semblent que les végétaux activent l’air les entourant lorsque l’environnement autour d’eux devient dangereux pour leur survie. Cela n’est cependant pas suffisant pour les immuniser à cette contrainte ou alors, c’est juste que ce n’est pas le bon déclencheur de leur réel pouvoir. Je n’ai rien pu remarquer d’autres de notable hormis qu’ils sont plus robustes que les roseaux que nous rencontrons actuellement dans nos marais. »

Le sauvage sembla alors se souvenir de quelque chose. Il se pencha sur le sol et commença à écarter la vase entourant le végétal pour dévoiler sa base.

Raksha : « A l’époque, je n’ai pas retrouvé de traces de poudre bleue que vous utilisiez pour faire diversion face aux Tempêtes… peut-être que les plants étaient encore trop jeunes… »

L’ombre inspecta donc soigneusement les racines des roseaux pour voir s’il y avait des changements par rapport à ses dernières recherches, tout en étant attentif à ce que faisaient ses « collègues » de recherche.

Le Faucon essayait justement de déterrer un de ces végétaux quand le sauvage fit une apparition aussi soudaine qu’imprévue. Instinctivement, il se tendit comme la corde d’un arc malgré son ton cordial. Il ne l’avait pas aperçu avant qu’il daigna s’exprimer, ce qui rendait Calith davantage méfiant, car ses sens ne le trompaient que rarement. Il se contenta d’une inclinaison de la tête en guise de salut. Il savait que, s’il ouvrait la bouche trop tôt, il risquait d’être bien plus acerbe que prévu. Il ne pouvait pas nier que la présence de l’Homme-Sauvage ne l’enchantait guère, mais pas plus qu’il ne pouvait nier son utilité dans l’affaire. C’est un sentiment partagé qui l’envahit, comme souvent à propos de Raksha : Il était utile à son peuple et à la prospérité de Fernliae, mais ses avis tranchés à propos de ses alliés ne jouaient pas en sa faveur. Il ne l’appréciait pas mais il pouvait le tolérer.

Calith s’intéressa au carnet qui passait de main en main mais ne prit pas la peine de se lever. Il continua de déterrer le plant en face de lui, et ne put s’empêcher, à son tour de vérifier si la poudre bleue était à nouveau présente. Un soupir passa ses lèvres alors qu’il se décidait enfin à rompre son silence.
”Leur pouvoir se manifeste autrement que par la contrainte ... Je dirais aussi par l’alliance des éléments. Quand nous les avons replantés dans le sable du repaire de Lodgé Pyros, les roseaux se sont activés immédiatement, canalisant le vent et faisant grandir les flammes élémentaires. Ils ont renforcés considérablement la puissance de Lodgé Pyros qui a pu sans mal vaincre ses adversaires. On aurait dit un pacte plus qu’une contrainte imposée par le Feu.”
Il ne regardait pas Raksha, alors qu’il exposait ses vieux souvenirs. On aurait presque pu croire qu’il ne s’adressait à personne, mais l’attention dont il avait fait preuve prouvait le contraire.
”L’objectif est d’utiliser ces roseaux pour la défense de Fernliae. S’ils ne réagissaient que dans des situations de danger immédiat, ils auraient tout de même une utilité en terme défensif. Là où je peine, c’est à savoir laquelle. Leur potentiel m’avait déjà convaincu.”

Une saison que Feirsbus était là, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’était pas la saison la plus productive qu’il ait connu.

”Tes compétences magiques nous seront utiles”
”Merci Calith...” pensa ironiquement l’ancien Conseiller. Lui et la magie, ce n’était pas si naturel que pour la plupart de ses homologues. Alors évidemment, comparé à un Elfe des Lunes, c’est toujours mieux, mais bon.

”Ca sent la magie, ça c’est sur, mais à part ça... En plus j’étais pas là pour toute cette histoire. Bon on se concentre...”
Feirsbus médita. Longtemps. Tout ce qu’il put appréhender était la relation à l’élément AIR des ces roseaux, c’est-à-dire pas grand chose de nouveau.

Lenwë était arrivé. Feirsbus était un peu inquiet, allait-il tenter de fumer les précieuses plantes ?
”Après tout il en apprendrait peut-être plus que moi en les regardant bêtement.” soupirait-il encore.

Après l’arrivée de Raksha et la lecture des notes qu’il avait prises, Feirsbus avait désormais pleinement l’impression de passer pour un neuneu (ou nain-nain, comme il se plaisait à déformer).

Enfin, une idée ! La lecture de ces notes l’avait aidé à réfléchir au moins.

Il s’adressa à Raksha.
”Raksha, dans tes études, as-tu observé et noté la vitesse de développement des roseaux ?”

L’Ombre avait été consciencieuse en éloignant la vase autour de la base du végétal et son intuition fut récompensée. De petits granules bleutés se trouvaient sur les racines des roseaux. Il en décrocha prudemment un pour l’inspecter de plus près.

Raksha : « Mmm… On dirait un minuscule cristal de mana… C’est comme si la plante puisait la magie naturelle du sol pour la cristalliser. Il n’y en n’avait pas quand vous les avez replanté ici ce qui laisse supposer qu’il faut laisser le temps à la plante pour les produire. C’est très intéressant… »

L’intendant exerça une pression un peu trop élevée sur la granule qui se désintégra en une fine pluie de particules bleutées.

Raksha : « Et c’est très frag… ATCHAA… », la sauvage venait d’éternuer en inhalant par inadvertance une partie de la poudre bleue dans l’air, « fragile donc et ça fait éternuer ! Peut-être devrions-nous… essayer de voir si la plante ne réagit pas à la magie brute ? »

Le sauvage se retourna vers Calith qui avait évoqué comment s’était passé la remise des Roseaux au Seigneur élémentaire, Logdé Pyros.

Raksha : « Vous dites que leur pouvoir a semblé se manifester naturellement au contact de Logdé Pyros mais vous avez du les replanter, non ? »

L’ancien conseiller Feirsbus qui était resté pensif devant le carnet de note de l’intendant se manifesta alors.

Feirbus : « Raksha, dans tes études, as-tu observé et noté la vitesse de développement des roseaux ? »

Raksha : « Euh non… Je n’ai pas eu le temps d’avoir une perspective dans le temps. Ça t’inspire quelque chose Feirsbus ? »

Tout en discutant, le sauvage essaya de voir comment les racines de la plante réagissaient lorsqu’il manifestait un peu de magie à sa source. Il espérait constater que les végétaux se nourrissaient en partie de la magie ambiante mais après de nombreuses minutes à canaliser sa mana autour des roseaux, il dut se rendre à l’évidence : aucune manifestation du phénomène ne se produisit. Cela ne voulait pas dire qu’il ne se passait rien, loin de là mais c’était comme pour tout, la nature a besoin du temps.

Un peu dépité, il reporta son attention sur Feirsbus qui s’affairait avec Zibouille, un jeune membre du peuple sauvage.

Zibouille avait été intrigué par l’attroupement assez inhabituel dans le refuge. D’habitude, chacun préférait vaguer à des occupations discrètes et solitaires.

Bien sur, il avait déjà vu des roseaux, et ceux-ci lui semblaient aussi familier que d’autres poussant dans les marais. Ce fut donc avec une curiosité grandissante de se rassemblement qu’il demanda ce qui poussait ces forestiers à s’intéressaient aux roseaux.

”Des roseaux magiques aux capacités extraordinaires qui réagissent avec l’Air” lui avait-on répondu.

Ses grands yeux ronds clignèrent plusieurs fois devant les quidams. Il apprit plus tard qu’il s’agissait de Raksha et de Feirsbus. Il se souvenait de Feirsbus, il lui avait gracieusement offert une belle bourse d’or. Zibouille fut déconcerté par cet acte de charité. Il pensa que cet homme sauvage aussi n’avait que faire des biens matériels pour se montrer aussi généreux. Il n’eut pas l’occasion d’en savoir plus mais qu’importe ; un jour il lui rendrait service. Peut-être avec ces roseaux ?

”Ce que je sais des roseaux c’est qu’après une tempête, ils resteront solidement ancrés au sol tandis que chênes, noisetiers et autres végétaux s’en trouveront arrachés. Pauvres végétaux...”avait-il lancé après un léger soupir.

Il resta près de l’attroupement sans dire mots ni bouger. Il contempla la scène de cette poudre bleue et écouta la discussion qui suivit.

Il faut laisser la nature faire les choses et les roseaux poussés à leur convenance ! pensa-t-il. Pourquoi vouloir nourrir de magie ces roseaux magiques pour les aider à pousser ? Cultiver des cristaux de mana ? Contrôler l’Air qui entoure ces roseaux ? Ce n’est pas bon de vouloir contrôler la nature ; un jour ou l’autre on le regrettera.

Il garda les bras croisés dans son dos, toujours sans rien dire, curieux et impatient de connaître la suite des évènements.

Jusqu'à ce que Feirsbus se manifeste...

Raksha n’avait pas pu étudier la vitesse de développement des roseaux, dommage pour l’idée de Feirsbus.

”Ah mince. J’aurais voulu voir si leur développement était plus ou moins rapides selon qu’il étaient à l’abri du vent ou non.

Ca aurait pu être intéressant également de savoir si ils poussaient de façon à être dans le vent, on aurait pu ainsi guider leur développement pour que la végétation soit à notre avantage et ralentissent nos éventuels assaillants.”

Feirsbus masqua une légère moue, puis reprit l’observation béate des objets de leurs attentions.

Soudain, il éternua assez violemment, ce qui provoqua un battement incontrôlé des ailes greffées à son dos et ses épaules.
Le souffle provoqué par le battement fit vaciller légèrement et brièvement les roseaux.

Feirsbus parti en courant. Il revint avec des lianes, et en donna un bout à Zibouille.

”Attache-ça à ce tronc s’il te plaît.”


Il s’en alla sans que Zibouille ait le temps de comprendre quoi que ce soit avec l’autre extrémité vers un tronc situé de l’autre côté des végétaux extraordinaires.
Le jeune Homme Sauvage ferait bien sa partie du travail sans trop rechigner, vu que le résident de Na’Helli l’avait aidé financièrement quelques jours auparavant.

Trois lianes assez solidement fixés pour recevoir un elfe ou un être similaire trônaient désormais au-dessus des roseaux.
Feirsbus s’y engagea et avança en glissants pieds et mains accrochés en l’air aux lianes, tel un paresseux.
Une fois au milieu, il se mit à battre des ailes, tournant le cou inconfortablement pour voir tant bien que mal s’il se passait quelque chose.

Zibouille s’exécuta. L’éternuement l’avait fait sursauté et il dut se retourner pour se rendre compte qu’il n’encourait aucun danger. Rassuré mais intrigué une nouvelle fois, par le départ inopiné de Feirsbus, il était resté sur place, curieux de savoir qu’elle mouche l’avait piqué.

La liane était attachée solidement et Zibouille préféra tout de même garder ses deux mains dessus, peu désireux de s’attendre à une mauvaise surprise comme la chute de l’homme sauvage sur les fameux roseaux spéciaux.

La prise était bonne, ses pieds solidement ancrés l’un à-même le sol, l’autre sur un petit rocher. Impossible de flancher.

Sans trop espoir de se faire entendre tellement Feirsbus donnait du coeur à l’ouvrage en faisant un baroufle d’enfer, il hasarda une hypothèse.

”Mais comment le roseau qui contrôle l’Air pourra-t-il faire une différence entre nous et nos ennemis ? Faut être conscient que les inconvénients des uns seront inconvénients des autres.”

Il tourna légèrement la tête sur le côté pour se protéger succinctement du vent créé par les battements des ailes, avant de reprendre.

”Moi ça me dérange pas, j’aime marcher en forêt.”

Il changea sa tête de côté.

”Tu veux que je t’aide à faire du vent ? ”

Zibouille ne s'attendait pas forcément à une réponse. Peut-être même que si Feirsbus ne pouvait l'entendre, cela l'arrangerait. Un trait de caractère qui lui est propre...

Après un petit moment de silence qui arrangeait bien le jeune homme sauvage, Zibouille resta stupéfait devant le tableau qui s'offrait à lui. Il cligna ses grands yeux ronds plusieurs fois. Etait-ce le fait d’être resté fixé sur Feirsbus en train de battre des ailes un certain temps ou alors l’homme sauvage commençait-il vraiment à flotter dans les airs ?

Zibouille remis son pied du rocher sur la terre ferme. Il ne ressentait pas plus de difficulté que cela à maintenir les lianes. Prudemment et lentement, il commençait à retirer son emprise du pont artisanal. Et plus il lâcha prise, plus la pression diminua.

Normal, pensa-t-il. Mais, vraiment ? Cette décontraction était-elle due à une détente musculaire ou au conseillé qui devenait de plus en plus ”volatile” ?

Tu voles ? demanda tout simplement Zibouille dans sa plus grande timidité. Ce sont les roseaux... ? Ils font te rendre plus léger jusqu’à flotter... ?

Ca fonctionnait !

Feirsbus se sentait léger, presque en train de flotter.
Il avait toujours ses mains et ses pieds sur les lianes, mais la sensation était là. Les roseaux amplifiaient les courants d’air que créaient ses trois paires d’ailes, et Feirsbus pouvait distinctement sentir un coussin d’air qui le maintenait dans son dos.

Il avait déjà plus ou moins plané maladroitement lors de chutes ou de sauts, mais jamais il n’avait ressenti cela.

Il commença par desserrer ses mains des lianes, n’y laissant plus que le bout de ses doigts. Bientôt, seuls ses pieds le retenait.
Il ferma les yeux et profita de l’instant. Les êtres intelligents ayant touché la sensation de voler de si près ne devaient pas être nombreux.

L’Homme Sauvage commençait à se détendre les jambes quand il se ravisa.
Et s’il tombait sur des roseaux ? S’il les détruisait ?
”Le mieux est d’attendre encore un peu, si les roseaux veulent et peuvent me faire léviter, ils augmenteront encore la puissance du souffle, et cela se fera tout seul.”, pensa t-il.

Il n’écoutait plus vraiment ce qui se passait autour de lui, mais Zibouille lui avait adressé la parole, ça il le savait.

Histoire de rassurer tout le monde, et qu’ils n’interrompent pas une des expériences les plus excitantes de son existence, Feirsbus se contenta de lancer
”Tout va bien ! Je ne sais pas exactement ce qui se passe mais c’est le pied !”

De son côté, Calith s’était évertué à ancrer certains plants en hauteur. La tâche n’avait pas été aisée, les murailles ne constituant pas un sol terreux et profitable pour des plants, et amener de la terre ne suffisait pas vu la longueur de leurs racines. Mais il fallait croire qu’à force de les enraciner et déraciner dans des cailloux, de la terre ou du sable, l’Intendant avait acquis une certaine expérience en la matière... Il se posta sur la muraille et attendit, en vain. Il ne savait pas vraiment à quoi il s’était attendu mais, bien entendu, rien ne se produisit. Les roseaux continuaient de s’agiter mollement au rythme du vent, profitant simplement d’une meilleure osmose avec leur élément.
Son regard fila d’un air ennuyé vers les Hommes-Sauvages en contrebas, Feirbus, qui pourtant hésitait sur la marche à suivre, semblait avoir trouvé une approche intéressante. Tout ce qui peut voler était rendu plus léger par les roseaux, comme si le vent devenait favorable. Tout devenait plus léger ...

L’elfe s’éclipsa un instant, les laissant à leurs manipulations, pour se rendre dans une tour de garde. Il emprunta un arc et un carquois rempli à un garde au repos, qui le suivit, par mesure de sécurité, perplexe quant à l’utilisation qu’il pouvait en faire. Le Faucon avait pris soin de choisir un arc long afin de vérifier si l’hypothèse émise par les Hommes-Sauvages pouvaient se révéler concluante avec des armes de jets à longue portée. Il banda l’arc et encocha une flèche étourdissante au-dessus des roseaux, forçant plus que d’habitude sur la corde. La précision lui importait peu puisqu’il se contenterait de viser les hauteurs des arbres, aussi laissa t-il primer la force au point que son bras se mit à trembler sous l’effort.
Quand il relâcha le projectile, celui-ci siffla à travers les bois, et atteignit une portée digne de figurer dans les records d’Olympia. Le garde l’observa avec des yeux ronds mais l’elfe se contenta de froncer les sourcils. Même avec le meilleur arc, il aurait été incapable d’atteindre une telle performance. ”Ce sont les roseaux... ? Ils font te rendre plus léger jusqu’à flotter... ?” avait demandé Zibouille. Il esquissa un sourire satisfait, sans doute ne s’était-il pas rendu compte à quel point sa remarque s’était révélée pertinente.

Il rendit son arc au garde et descendit les rejoindre, en bas des murailles.
”Mes expériences se sont montrées peu concluantes, il est difficile à dire si les roseaux seront capables de ... ”s’activer” en cas de danger immédiat sur la cité de Fernliae. C’est une possibilité mais on ne peut pas vraiment se reposer dessus. Par contre ... Les roseaux permettent bien de faire ”flotter” comme l’a démontré Feirbus, et cela fonctionne aussi pour des projectiles. Les gardes sauront peut-être adapter leur potentiel aux tours de gardes, ce qui leur fournirait une meilleure portée. Nous pourrions alors implanter les roseaux les plus adultes sur les murailles et en conserver d’autres pour une production régulière de poudres de mana. Je ne doute que Fernliae saura en tirer profit.”