Legends of Olympia : La Ballade des Mémoires - L'Envol
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L'Envol
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Dernière réponse le 04/12/2011 à 16:42

el Par Calith  le 28/08/2011 à 23:47

Il tendit la main en avant, comme cherchant à atteindre cette silhouette fine qui se dérobait à nouveau. Il devait se remettre à courir, sinon il serait encore distancé. Il peinait à maintenir le rythme, ses enjambées étaient plus courtes, ses bottes butaient contre les larges racines des arbres vénérables. Devant lui, la silhouette évoluait avec une aisance surnaturelle, se glissant silencieusement entre les troncs d'arbre, esquivant les branches sans même les voir. Ses bruits de pas paraissaient naturels dans le chuchotis du vent et ne gâchaient en rien l'harmonie de la forêt.
Le petit elfe devait être à ce point concentré sur cette apparition car il n'aperçut même pas la lourde branche lui barrant le passage. Dans un réflexe soudain, il jeta sa tête en arrière tout en poursuivant sa marche accélérée. Bien mal lui en pris, sa cheville se tordit sur la racine suivante, le faisant glisser en arrière dans une exclamation soudaine. La silhouette se retournait déjà, alarmée par cette maladresse. Il mua son cri en gémissement plaintif, contenant tant bien que mal une grimace face à cette douleur lancinante. Nul doute qu'on lui reprocherait plus tard ce manque de discrétion...
Il leva un regard honteux vers celui qui lui faisait désormais face. L'elfe ne parut pas s'attendrir, son visage ciselé conservant une expression sévère et apathique. Ses yeux d'émeraude scrutaient son état, sans daigner s'attarder sur sa cheville blessée. Il ouvrit la bouche, lâchant d'un ton autoritaire : "Marche, Calith. La douleur passera. Rien n'est cassé."
Dans un bruissement de cape, il se retournait déjà, reprenant sa progression sans lui laisser le choix. Il allait prendre du retard ... Et s'il le perdait de vue ? Soudainement inquiet et concerné par cette possibilité, le petit elfe, âgé alors de moins d'une dizaine d'années, poussa sur ses mains pour se redresser, encore couvert de mousse et de feuilles. Il ressemblait alors à un parfait sauvageon avec sa tignasse noire ébouriffée que ses petites oreilles elfiques ne parvenaient pas à conserver les mèches. Sa tunique était sale, ou plutôt, encore plus qu'avant, et il sentait les fourrées. Sa mère aurait été dépitée de le voir ainsi, mais pour son père, rien n'était plus naturel.
Il tenta une première enjambée, retenant un nouveau gémissement, alors qu'il se rattrapait à l'arbre. Sa cheville chauffait et la douleur se montrait persistante. Ménageant sa patte blessée, il évolua d'un pas clopinant, solicitant davantage son autre jambe. Chaque pas lui tirait une grimace, mais son père et Adrakil semblait avoir ralenti le rythme... Il ne lui en demanderait pas davantage.

~~~~~~

Ce ne fut que plusieurs heures plus tard que le petit elfe pu soulager sa jambe meurtrie, grimpant sur une branche basse pour laisser ses pieds se reposer. Son père ne s'était retourné à aucun moment, mais, fièrement, il avait continué de le suivre comme si sa vie en dépendait. On abandonne les animaux blessés qui sont incapable de maintenir le rythme, on lui avait déjà dit. Et s'il l'avait abandonné ?
Cette pensée le maintint perplexe quelques secondes, avant qu'un écureuil n'attire finalement son attention. L'animal se précipita derrière un arbre, mais, curieux, en sortit juste la tête pour le détailler de ses yeux noirs. Non loin, son père entretenait une discussion sérieuse avec un autre elfe qu'il lui semblait familier mais dont il avait oublié le nom.
- ... est blessé ?
- Une belle entorse.
- Pourquoi ne pas le ramener à sa mère, dans ces cas-là, plutôt que de le forcer à marcher ?
- Tu sais bien que ce n'est pas si évident. Et il apprend, ainsi.
- Tu es dur ... Pourtant, je suis sûr qu'elle serait ravie de le voir, parfois.
- Elle, peut-être. Sa famille, certainement pas.
- Peu importe, non ? Ils savent qu'elle ne le gardera pas, maintenant.
- Tu as peut-être raison...

Les deux regards affluèrent dans sa direction. Il retint sa main, presque à portée de l'écureuil, maintenant, comme craignant d'avoir fait une bêtise. Il n'avait rien fait de mal ... Si ? Le petit elfe se renfrogna automatiquement. Si seulement ils avaient parlé plus longtemps... Ils risquaient de reprendre la route, et il allait encore avoir mal.


(Merci à Aileen !)



el Par Calith  le 30/08/2011 à 00:16

La Forêt des Cendres s’était colorée d'une teinte dorée, filtrant entre les troncs des arbres. A certains endroits, elle était tellement dense que l'on aurait pu croire la nuit éternelle, mais en se rapprochant de la cité elfique, elle devenait étrangement éparse. Nul doute que les Nobles avaient voulu se dégager un peu de place, davantage gênés dans leur progression, ne se rendant qu'en partie compte de la protection immuable que leur accordait la Forêt. A la lisière, les Faucons subissaient bien des intrusions et l'art de la discrétion était primordial pour survivre. Il se souvenait qu'on lui avait appris, et longtemps rappelé, mais dans l'immédiat, la douleur était plus forte.
Il sentait que sa blessure empirait, sa cheville avait considérablement enflée et chaque mouvement lui en coûtait. Mais on s'habituait à tout, et à force d'opérer le même mouvement depuis plus d'une demi-journée, la douleur lui était devenue familière et moins dérangeante. Cependant, quand Daerin daigna enfin s'arrêter pour la nuit, le petit elfe se laissa tomber au sol, se roulant automatiquement en boule dans sa cape, sans demander son reste. Il l'entendit à peine réunir les branchages pour se faire un feu, son attention retenue par cette douleur lancinante. Dès qu'elle s'estompa suffisamment, il plongea dans un sommeil profond, sans même sentir l'odeur alléchante de la viande cuisant sur la broche.

Il se réveilla au milieu de la nuit, la gorge sèche. Encore à moitié endormi, Calith se dirigea à quatre pattes vers sa gourde, avalant de longues gorgées... Et s'arrêtant subitement en remarquant le regard vert fixé sur lui. A se demander quand il dormait... Car à son souvenir, il ne l'avait jamais vu faire ! Il attendit un instant une réaction qui tarda à se présenter, et ne fut pas du tout celle attendue.
- Dors. Demain, nous arriverons à Na'Helli.
Il reposa sagement la gourde, sans un mot, évitant soigneusement du regard les restes de nourriture. Il savait d'avance que son père ne lui permettrait pas d'y toucher avant demain. Car l'heure, c'était l'heure, et il ne supportait aucun retard. Repartant à quatre pattes comme un petit animal, il se roula en boule à nouveau, sans même se poser la moindre question sur leur destination finale.

~~~~~~

- Ne touche pas à ça, Calith ! S'exclama Daerin, sur un ton autoritaire.
Il lui rendit un regard noir et sévère qui lui fit l'effet d'un coup de bâton, le petit elfe se recroquevilla aussitôt, délaissant l'objet de son attention. N'empêche que c'était vraiment très étrange ... Cette maison contenait un nombre ahurissant d'objets de toutes sortes dont il ne comprenait même pas l'utilité ! A quoi servait cet aigle en bois ? Il ne pouvait même pas voler ... Mais le plus impressionnant résidant dans ces toiles accrochées aux murs. Peut-être cachaient-elles des trous, sinon à quoi bon ? Il attendit gentiment que son père se remette à parler à son interlocutrice, avec ce ton si sérieux et concentré. Le petit elfe s'extirpa ensuite de son siège, bien trop profond à son goût, pour vérifier sa théorie, poussant de ses petites mains une toile immense afin de savoir ce qu'elle cachait. Décidément, elle devait être bien trop grande pour un si petit trou... Il ne voyait toujours rien.
- Calith ... Ce tableau tombe au sol, tu ne vas pas comprendre ta douleur, reprit la voix grinçante.
- Daerin, c'est b...
Il dut stopper son geste trop vivement car la toile tangua dangereusement avant de s'échapper de son promontoire, percutant violemment le sol, le faisant sursauter par la même occasion. La femme retint une exclamation, sa main se portant à sa bouche dans un geste gracieux. Sa beauté délicate sembla troublée un instant par une crainte toute autre. Jetant un coup d'œil furtif aux alentours, elle se leva vivement pour gagner la porte de la pièce, la fermant à clef. Elle s'adossa à cette dernière, les paumes de ses mains restant contre le bois. Une moue ennuyée fendit son visage, mais elle n'avait rien de comparable à l'expression de terreur qui transparaissait sur celui de Calith. Son père ne lui avait pas laissé l'occasion de protester, l'empoignant soudainement par le haut de sa tunique pour le jeter sur le balcon, fermant les portes-fenêtres derrière lui. Il avait désormais l'étrange impression d'avoir été enfermé dans un placard à l'extérieur... Ne lui restant plus que de la pierre froide et une vue imprenable sur la cité. Ceci dit, il s'était attendu à bien pire ...

- Il ne nous ennuiera plus.
- Ce n'était pas la peine de ...
- Crois-moi, Elerinna, il ne comprend que la manière brutale.
- Parce que tu as tenté d'autres méthodes, vraiment ?
Répondit-elle avec un demi-sourire.
Un soupir las lui répondit, son silence sonnant presque comme un aveu. Daerin s'empara du tableau, le remettant en place, tendant ensuite l'oreille comme redoutant que quelqu'un monte à l'étage. Ce réflexe lui rappelait de lointains souvenirs, bien avant la naissance de Calith ...
- Daerin ?
Il releva la tête, lui rendant un regard interrogateur.
- Est-il... Est-il muet ?
Il ouvrit de grands yeux, la question le prenant au dépourvu. La mine inquiète d'Elerinna montrait qu'elle était sérieuse ... En y repensant, Calith n'avait pas prononcé un mot depuis son arrivée à Na'Helli.
- Non. Il est toujours ainsi.
Un froncement de sourcils lui échappa. C'était vrai que l'enfant avait appris à parler tardivement et qu'il se donnait peu la peine de s'exprimer, mais cela ne l'avait jamais alarmé. Elle lui rendit un fin sourire, ses épaules s'affaissant. Elle lui paraissait toujours aussi belle, après tant d'années écoulées, sa longue chevelure d'argent encadrant un visage aux expressions douces.
- ... Il a hérité de tes yeux de saphirs, Elerinna. Mais ce côté indiscipliné, je suis bien en mal de savoir d'où cela lui vient.
- Il avait simplement envie de jouer.

Elle marqua un silence, que Daerin maintint sans peine. Ses lèvres se plissèrent, elle reprit.
- Il ne me reconnaît pas, n'est-ce pas ? Non, bien sûr que non ... Tu lui as dit ... Qui étais-je, pour lui ?
- Tu le lui diras toi-même. Il peut bien rester quelques jours.
- Mon père ne tolérera jamais ...
- Tu en as envie, non ? Et tu es mariée, maintenant. Qu'a t-il à craindre d'un enfant en bas-âge ?

Elle ne protesta pas, son silence sonnant comme un accord tacite. Le regard de Daerin se détourna un instant, pour se poser sur l'enfant au dehors qui fixait intensivement le sol plus bas, se demandant certainement comment échapper à ce balcon ennuyeux. Son père connaissait bien la réponse...
- Je dois partir, précisa Daerin d'une voix étrange.
Elle hocha lentement la tête, fixant son regard résolument dans celui qu'elle avait aimé, et aimait encore, le laissant s'en retourner.



el Par Calith  le 06/09/2011 à 20:06

- Sors-moi de suite ce bâtard d'ici !
Calith frissonna. La voix de l'elfe avait claqué comme un coup de fouet. Il avait peur, même pire, il sentait le danger. Le Noble le fixa d'un air courroucé, comme si, par sa simple présence, il venait de faire atteinte à son intégrité physique. Il ne le connaissait pas, mais il savait reconnaître sans peine que cette homme le haïssait. Il se recroquevilla, lâchant le petit pain que la femme aux cheveux d'argent lui avait donné, ce matin. Le repas débutait mal.
- Hors de ma vue ! Hurla t-il.
- Père, non !
La femme s'était levée subitement, les mains posées sur la table, d'un geste presque autoritaire. Elle n'eut pas le temps de rétorquer davantage, l'homme avançant d'un pas résolu vers le petit elfe. Il avança subitement sa main pour se saisir de lui, mais il était bien trop lent comparé à son père, Calith esquiva sans peine, descendant en bas de son siège. Sa dérobade ne fit qu'accentuer la colère du Noble qui commença à vociférer dans un langage particulièrement fleuri. La femme cherchait à s'opposer à lui, mais elle ne parvenait pas à le calmer. Calith se précipita dans un coin de la pièce, se cachant derrière un meuble imposant. La porte était fermée : Il n'avait aucune échappatoire.
- Il restera aussi longtemps qu'il le voudra !
- Ces Luneux ne respectent rien ! Même dix ans plus tard, il m'impose encore sa vue !
- Calith n'y est pour rien...
- Il souille notre famille par sa simple présence ! As-tu songé à ce que dirait ton fiancé, s'il l'apercevait ?

Elle n'eut pas le temps de répondre, le vieil elfe commençait à s'agiter, jetant des regards assassins au petit elfe.
- Non ! Bien sûr que non ! Pas plus à ce que nous dirions de notre famille !
- Calith est mon fils et je ne vous autoriserais pas à le mettre dehors ainsi, Père !

Le ton était bien plus tranchant qu'à l'accoutumée. Calith ne comprenait pas. Il avait fait quelque chose de mal et on voulait le punir pour ça, mais c'était injuste. Il ne comprenait pas ce qu'on lui reprochait. Quand Daerin le corrigeait, il avait toujours une bonne raison. Toujours. Il ouvrit la bouche et se força à parler, depuis sa cachette précaire, sa voix avait des intonations étranges, déraillant un peu. Il ne l'avait pas sollicité depuis longtemps.
- Je ne veux pas rester ici...
Les deux elfes arrêtèrent leurs joutes verbales pour soudainement s'intéresser à ses paroles : C'était la première fois qu'il s'exprimait en ce lieu. Les yeux de la femme s'arrondirent sous le coup de la surprise. Il insista, employant un ton plus véhément.
- Je veux m'en aller !
Elerinna afficha une expression blessée et ne trouva rien à redire quand son père clama sur un ton triomphant :
- Ah ! Tu l'entends ? Il ne veut pas rester ici... Les Luneux sont faits pour vivre dans leurs forêts, pas dans notre cité !
Même si le ton n'était pas adéquat, son affirmation sonnait vrai. On ne met pas les oiseaux en cage. Elle fixa son regard sur Calith et risqua un sourire qui se voulait rassurant. Elle tendit la main en avant pour lui intimer de la rejoindre mais le petit elfe hésita. Son cœur se serra davantage : Il ne le reconnaissait pas comme sa mère. Elle cligna lentement des yeux, chassant leur humidité, et faisant fi des remarques de son père. Oui, ça avait été une mauvaise idée.

~~~~

Le petit elfe tirait avec insistance, cherchant à se dérober de la prise de sa mère, comme un chien tirerait sur sa laisse. Elle le tenait fermement par la main, mais juste suffisamment pour qu'il ne décide pas de s'échapper. Elle savait pertinemment qu'il se dirigerait droit vers la Forêt, et seul s'il le fallait. Si son comportement la blessait, elle ne pouvait pas se permettre de le laisser aller au devant de tels dangers : Elle devait retrouver Daerin.
Il lui lança un regard noir et elle ne fut pas plus douce, cette fois, devant cet énième caprice : "Suffit, Calith." Comme elle aurait pu s'en douter, le petit elfe détourna la tête et se tint plus calme. Daerin l'avait éduqué au bâton et il ne comprenait alors plus que la manière forte. Cet état de fait la désolait, il en aurait été bien autrement, si elle avait pu seulement l'approcher ... Mais elle se souvenait à peine de ce nourisson bien vite retiré de sa vision. Il avait bien grandi, depuis, et ressemblait à une réplique miniature de son père. D'un geste pensif, elle passa une main dans la chevelure hirsute et noire de son fils. Calith lui rendit un regard interrogateur, ne semblant pas familier à ce genre d'attention, mais ne protesta pas. Malgré tout, il lui manquerait, cette poignée de jours à ses côtés ne suffirait pas à combler ce vide.

Daerin l'attendait. Il revêtait un calme froid qu'elle connaissait bien : Celui qu'il employait toujours lorsqu'il voulait cacher ses émotions. A cette heure, le marché de Na'Helli était bondé et il leur était difficile d'échanger, mais dans cette foule compact, personne ne prêtait attention à ces trois silhouettes placées sous un arbre. On aurait pu les prendre pour une famille qui se rejoignait à un point de rendez-vous après avoir écumé le marché. Elerinna aurait tellement voulue que ce soit le cas.
- Je suis désolé, Elerinna, commença Daerin sur un ton voilé.
Il était rare que l'elfe s'excuse et Calith le fixa comme s'il venait de tomber sur la tête. La femme aux cheveux d'argent lâcha soudainement sa main, après cette déclaration. Mais le petit elfe n'eut pas le temps de se dérober, elle s'agenouilla pour se tenir à sa hauteur, se moquant bien de l'état déplorable dans lequel se retrouverait sa robe, et l'enserra. L'étreinte était douce et chaleureuse mais déconcertante, aussi, Calith n'osa pas bouger. Quand elle lui embrassa le front, il se figea sur place, même quand elle se retira. Et Daerin souriait, ce qui lui ressemblait aussi peu que de s'excuser. Aucune parole ne fut échangée, comme si ce silence entendu leur suffisait.

Son père resta un moment à fixer cette femme qui s'éloignait, jusqu'à ce qu'elle disparut entièrement dans la foule. Il reprit alors sa marche, Calith lui emboîtant automatiquement le pas, mais conservant un air renfrogné. Il dut le remarquer car il haussa un sourcil en baissant la tête vers lui.
- Quoi ? se contenta t-il de dire.
Calith le fixa avec un air de reproche impossible à dissimuler. Pourquoi lui avait-il infligé cette punition ? Il était resté enfermé plusieurs jours avec des parfaits inconnus dans cette cité étrange ! Et tout ce qu'il trouvait à lui dire c'était un "quoi ?". Il fulminait mais son père ne le prit pas au sérieux. Il lui posa sa lourde main gantée sur la tête, déstabilisant presque son équilibre par ce simple geste.
- Tu n'étais pas content de voir ta mère, Calith ?
De sous ses mèches aplaties par son gant, Calith lui rendit un regard interloqué.



el Par Calith  le 09/09/2011 à 19:21

Il courrait à en perdre haleine.
L'arc à la main, Calith traquait son ennemi sans relâche, suivant cette ombre qui se dérobait constamment derrière un arbre, un fourrée. Mais il n'était plus un enfant, chacun de ses pas le rapprochait inexorablement, la Forêt n'entravait pas sa progression. Les racines et les branches dressées sur son passage ne parvenaient pas à le gêner, il sautait, courrait encore, enjambait, se pliait parfois en deux. Son regard restait résolument fixé sur son objectif, et malgré tout le mal que se donnait sa cible, ses yeux de rapace finissaient toujours par retrouver sa trace. Traqueur implacable.
Il descella une faille, leva son arc, la flèche déjà encochée. Le projectile siffla entre les feuilles des arbres et rata sa cible de peu, l'homme se réfugiant subitement derrière un chêne impressionnant. Il pesta. S'il gagnait sur la vitesse, sa précision laissait encore à désirer, surtout quand on le forçait à décocher ses flèches en mouvement et sous le couvert des arbres. Un coup d'oeil à son carquois lui permit de mieux juger la situation : Il n'avait plus le droit à l'erreur.
Soudainement, Calith accéléra, traçant à travers bois. La silhouette ne put s'empêcher de jeter un bref regard en arrière, en entendant les foulées s'allonger. Sa cible n'était plus très loin ... Il leva son arc à nouveau, la flèche étourdissante encochée. Son rythme soutenu diminuait grandement son adresse et il hésita un instant, suffisamment pour assurer sa dernière flèche. Mais ce fut un instant de trop. Un violent coup lui parvint à la tempe et l'elfe fut projeté en arrière par le choc, sonné. Il était pourtant persuadé de n'avoir laissé aucune branche d'arbre au hasard, alors ça ne pouvait être que ...
- Tu as baissé ta garde ! Clama une voix familière.
Il gémit, pour toute réponse. Sa tête allait exploser, il se tint donc tranquille le temps que la douleur passa. On lui tendit une main et il s'en saisit avec soulagement, repassant à la verticale. Ses yeux peinèrent à faire le point mais il reconnut clairement sa cible initiale, Daerin, mais aussi une autre personne, un ami de son père qu'il avait déjà eu l'occasion de voir à l'oeuvre ... On lui avait tendu une embuscade depuis le début, évidemment.
- Tu serais mort, à l'heure actuelle, dans des conditions réelles. Qu'est-ce qui t'as pris de foncer ainsi ? Tu espérais m'avoir au contact, peut-être ?
Comme d'habitude, les critiques fusèrent. En temps normal, Calith attendait passivement qu'il finisse d'énumérer les points à revoir et lui intime de recommencer. Mais pas aujourd'hui.
- Il fallait que je diminue la distance qui nous séparait ... J'aurais réussi sans cette attaque surprise !
- Crois-tu sincèrement que tes ennemis seront ainsi isolés ? Faillibles ? Ils combattent notre peuple depuis des siècles. Tu es trop sûr de toi !

L'autre elfe était resté silencieux, prenant ses distances. Calith serra les poings mais ne préféra pas raviver le débat. Son père prit ce silence pour un assentiment et continua de lui signaler les lacunes à corrige. Mais Calith n'en avait que faire. Certes, il ne serait certainement jamais aussi grand que son père, mais ses muscles s'étaient considérablement développés et il était devenu plus fort que lui et n'était pas loin de le rattraper à la course. Sa vision était aussi acérée que celle d'un rapace. Mais non, pour Daerin, tout était toujours à revoir. Il trouvait affligeant qu'il se repose autant sur un seul sens, mais bien davantage qu'il privilégie la force à l'adresse. Et quand tout était parfait, il prétextait que, sur un champ de bataille, tout ne se passerait pas aussi bien. Qu'il aille se faire foutre !
- Calith, où vas-tu ?
L'elfe s'était retourné subitement, sans plus lui prêter la moindre attention. Une colère froide le prenait à la gorge, incontrôlable. Il n'en supporterait pas davantage, non, pas aujourd'hui.
- Je rentre, répondit-il sur un ton qui se voulait détaché.
- L'entraînement n'est pas terminé.
Il s'arrêta. Il était déjà prêt à se retourner et lui faire comprendre où il pouvait se le mettre, son entraînement, mais...
- J'ai l'impression qu'un troupeau de cerfs vient de me piétiner le crâne. Je n'ai plus de flèches. Les Titans commencent à décliner et ...
Non, finalement, il allait craquer.
- Et j'en ai marre de tes sermons ! Alors, pour une fois, fiche-moi la paix !
Daerin ouvrit de grands yeux devant le ton qu'il employait. Il était habitué à le voir parfois trainer les pieds et lui rendre son habituelle expression renfrognée, mais Calith ne discutait jamais les ordres. Jamais. La surprise fut si grande qu'il en oublia de réagir en voyant son fils détaler. Trop tard, il aurait dû réagir avant. Son ami lui rendit un regard interogateur mais ne se permit aucun commentaire. Automatiquement, il s'était mis en retrait comme sentant qu'une querelle familiale allait éclater. Sans savoir pourquoi, cela empira le ressenti de Daerin. Calith allait souffrir, ce soir ... Il apprendrait bien vite que les ordres ne devaient pas être discutés, car ceux qui désobéissaient étaient les premiers à périr sur le champ de bataille. Il ne pourrait pas le permettre.

~~~~

Son regard brillait à la lueur des astres. La nuit était tombée depuis longtemps, sur la Forêt des Cendres, lui accordant cette couleur étrange et propre à son nom. Il lui était difficile de s'orienter avec la lumière lunaire et, régulièrement, Calith se figea pour écouter les bruits environnants. La vie nocturne était en pleine effervescence et il entendait sans arrêt des bruissements dans les buissons sans parvenir à définir leur origine. Il détestait la nuit, elle perturbait bien trop ses sens et il risquait de se perdre. Il n'avait déjà que trop tardé ...

Cela lui prit peut-être des heures de rejoindre la maisonnée perchée dans les frondaisons. Il gravit rapidement l'escalier de poutres en bois qui s'enroulait autour du vieil arbre, gagnant la plateforme peu stable devant la porte d'entrée. Il commençait à trembler de froid. Ce n'était pas trop tôt ... Sa main se posa sur la poignée de la porte et poussa, en vain. L'elfe afficha une mine déconfite. Il ne l'aurait jamais cru capable de lui faire ça. Son poing s'écrasa dans un geste rageur sur le bois, espérant ardemment le réveiller en plein milieu de la nuit pour lui faire payer. Il ne lui ouvrirait jamais, il le savait pertinemment. Daerin ne revenait pas sur ses décisions.
S'il avait su, il se serait préparé en conséquence. Mais la nuit était si noire qu'il risquait d'avoir un mal fou à réunir de quoi se faire un feu. Aussi, à contrecoeur, Calith décida de rester sur la plateforme. Il se roula en boule dans sa cape en collant son dos contre la porte, espérant bénéficier d'un minimum de chaleur émanant de la maisonnée. Ce fut tremblant de froid qu'il gagna les bras de Morphée.



el Par Calith  le 11/09/2011 à 14:29


La porte s'ouvrit subitement. Sa tête valdingua et il sentit un pied se heurter à son dos. Sans aucune douceur ...
L'elfe se redressa, tant bien que mal, encore abruti par le sommeil, et sans doute aussi un peu par les coups successifs en direction de son crâne. Il leva un regard noir vers son père qui se contenta de le fixer de manière neutre, même si une certaine satisfaction se retranscrivait dans son regard.
- Et bien ! Je t'aurais cru plus imaginatif ... Incapable de se dresser un camp peut-être ?
- Tu m'as marché dessus ...
- Oui.

Un silence s'installa, l'un attendant la prochaine réplique, l'autre trop interloqué pour pouvoir répondre. Daerin se moquait complètement de l'avoir laissé tremblant de froid toute une nuit, même pire, il doutait que ce réveil brutal ne fusse un accident. Il le malmenait volontairement pour lui faire payer l'affront de la veille. Cette discussion était vaine. L'elfe se releva, épousseta sa cape, l'air de rien, et redescendit l'escalier.
- Tu n'as pas faim ?
- Non,
répondit Calith, d'une voix étranglée.
Bien entendu, qu'il crevait de faim ! Il n'avait rien avalé depuis presque une journée entière, aussi ne parut-il pas des plus convaincants. Mais il devait partir, le plus loin possible. Il sentait une colère sourde lui retourner les entrailles et il craignait de perdre définitivement son calme.

Sans s'en rendre compte, il s'était mis à courir, cherchant à s'éloigner au plus vite de la seule personne qui s'était préoccupée de lui ses seize dernières années. Il ne voulait plus sentir ce regard braqué sur son dos. Quand l'elfe s'arrête enfin, il était définitivement perdu. Ce coin de la Forêt ne lui disait vraiment rien. Les arbres étaient des feuillus relativement jeunes et éparses, les arbustes et herbes folles envahissant toute la superficie. Le soleil filtrait donc abondamment, baignant le bosquet d'une lueur dorée. Parfait. Il s'établirait ici, du moins un temps.
Mais dès que cette pensée le traversa, elle lui parut étrange. N'avait-il donc aucune attache ? Pouvait-il s'évaporer dans la nature en l'espace d'une minute ainsi, sans un regard en arrière ? Sans même devoir plier bagages ? La réponse était oui. Sa gorge se serra. Seul son père se préoccupait de son sort et depuis sa naissance, c'était le seul proche qu'il comptait. Peut-être était-ce à cause de lui, ou peut-être pas. Quand il se souvenait de l'épisode avec sa mère, il lui semblait que certains efforts avaient été faits, qu'il n'avait jamais saisi. Parfois, il l'avait laissé jouer avec les enfants Faucons lors des réunions du Clan, parfois même avec les Louveteaux de la Tanière quand ils passaient à proximité, mais jamais Calith n'avait lié d'amitiés qui durèrent plus de quelques heures. La triste réalité s'imposa à lui : S'il était seul, c'était entièrement de son fait.
Le silence lui parut soudainement insupportable et l'elfe se mit en mouvement, avançant au hasard, répondant au simple besoin d'entendre ce bruit régulier qu'était ses pas. Il ne devait pas trop réfléchir, il le savait. Le piège de la solitude était la réflexion inlassable : On finissait par devenir fou. Aussi, se concentra t-il sur des besoins plus rudimentaires ... Il avait les crocs.

~~~~

Le loup glapit, tendant une patte en avant. Un grognement d'un tout autre animal lui répondit et il fit mine de sauter sur le côté, à l'abri. L'odeur de lapin grillé était alléchante, et son estomac le tiraillait tellement qu'il en oubliait les hautes flammes du campement. Il pointa les oreilles dans la direction de l'elfe et étouffa un aboiement, frustré.
- Dégage ! Tonna Calith.
Cela faisait une journée entière qu'il chassait dans ces bois et il pouvait enfin assouvir sa faim. Armé d'une unique flèche étourdissante, la tâche s'était révélée bien plus ardue que prévue et il ne pouvait même pas profiter de son repas en paix. Il se retrouvait confronté à un jeune loup vagabond qui convoitait sa proie. L'animal avait dû se perdre autant que lui, s'éloignant de sa meute par inadvertance. N'importe qui aurait éprouvé de la compassion, à sa vue, mais pas Calith. Excédé, il se leva, son arc à la main. Ce louveteau était pire qu'un chien galeux. On avait déjà dû le nourrir par le passé pour qu'il prenne autant le risque de se rapprocher. Il ne voyait qu'une solution face à ces animaux trop habitués au contact de l'Homme... Il encocha une flèche et tira. Le loup fit un bond en arrière en apercevant la flèche se planter entre ses deux pattes. Sans demander son reste, il déguerpit.
Quand il ramassa le projectile, il eut une étrange sensation de déjà vu. Un mal pour un bien. Il avait effrayé le loup, lui montrant de près la mort, pour qu'il ne compte plus que sur lui-même. Il lui semblait soudainement comprendre certaines subtilités sur sa situation. Son père était dur et inflexible, mais s'il ne l'avait pas été, jamais Calith ne serait arrivé aussi loin. Il serait mort dans les premiers sur un champ de bataille, comme de nombreux jeunes elfes qui surestimaient leurs capacités. A seize ans, il n'était pas ce que l'on pouvait appeler un guerrier aguerri, mais il pouvait se débrouiller par lui-même contrairement à une majorité. Il avait appris à rester constamment aux aguets, à réfléchir froidement dans les pires situations, mais aussi à faire preuve de prudence, de vivacité quand le besoin s'en faisait ressentir. Cependant, comme son père, il ne supportait pas la faiblesse, chez lui ou chez les autres. Sa mâchoire se crispa : Daerin l'avait façonné à son image.
Son regard se fixa au lointain, là où le loup avait disparu auparavant. Il s'était pourtant promis de ne pas trop réfléchir ... Un soupir passa ses lèvres alors qu'il rangea précautionneusement les restes de lapin. Demain, il partirait vers la frontière.



el Par Calith  le 14/09/2011 à 21:12

Un léger bruissement de feuilles se fit entendre. Calith se figea subitement, son regard glissa vers l'arbre le plus proche et, pareil à un écureuil, il empoigna une à une les branches basses pour se percher confortablement en hauteur. La chance lui souriait car les arbres à proximité de la frontière étaient imposants et solides, même si encore jeunes. Peut-être les elfes s'étaient chargés à dessein de faire pousser ce type d'arbres ?
Sous ses pieds, un lièvre se faufila à toute vitesse, courant en diagonale pour rejoindre le cœur de la Forêt. Fausse alerte. Cependant, il sentait régulièrement des mouvements aux alentours, des regards posés sur lui. A première vue, il s'agissait des sentinelles, car leurs mouvements lents et mesurés auraient déjà dû être bien plus nerveux s'il s'était révélé être un ennemi. Personne ne vint croiser sa route pour lui signaler que sa présence était indésirable, aussi, l'elfe continua sa lente progression. Il se stoppa à nouveau à la douce lueur déclinante des Titans, l'orée de la Forêt n'était plus très loin et il avait atteint sa destination. Il lui faudrait maintenant réunir suffisamment d'informations pour se révéler utile durant la prochaine réunion clanique. Il ne savait pas vraiment par où commencer mais il ne pouvait pas décemment se glisser dans la plaine, vulnérable. Aussi préféra t-il attendre ...

La nuit le prit au dépourvu. Il cligna des yeux, subitement aveugle. Il ne devrait pas tarder à rebrousser chemin, surtout que tenir cette position surélevée durablement lui posait quelques problèmes. Il bougea à nouveau, sans doute pour la centième fois, et fronça les sourcils en entendant comme un écho à son mouvement. Le bruit s'amplifia et il discerna bientôt plusieurs silhouettes dans la plaine, au loin. Les mouvements se furent nerveux, mais prudents, et s'arrêtèrent aussi soudainement. Les elfes étaient éveillés, prêt à l'assaut au moindre faux pas. Un tremblement le prit et Calith se força à se calmer, restant attentif. Mais tout arriva bien trop vite.
Il entendit le sifflement sinistre de flèches, des pas de courses, des halètements et cris étouffés. Et soudain, alors qu'il s'était cru auparavant en sécurité, quelque chose brisa ses appuis et le fit chuter en arrière. Il retint un hoquet de stupeur et percuta durement le sol, son souffle se coupant sous l'impact. Une grimace passa sur ses traits, la douleur se répandant dans tout son dos. Il n'eut pas le temps de se relever par lui-même, quelqu'un l'agrippa par sa tunique et le remit à la verticale, une main gantée se plaquant sur sa bouche. Il eut beau se débattre, la prise était trop ferme, l'inconnu l'entraînant vers les sous-bois. Dans un élan de panique, Calith leva la jambe pour donner un violent coup dans son tibia. L'individu recula prestement son pied mais laissa une ouverture suffisante à l'elfe pour s'emparer de la dague dépassant de sa botte.
- Calith ! Non !
Avant qu'il n'ait le temps de l'arrêter, la lame s'enfonça brusquement dans sa cuisse, percutant l'os. Un cri étouffé lui fit écho, la pression se relâchant subitement, alors qu'il tombait en arrière. Calith se retourna l'arme en main, interloqué. Il aurait normalement dû fuir sans demander son reste mais ...
- Impossible ...
Un gémissement lui répondit. Un elfe était au sol, son pantalon se gorgeant de son sang. Ses traits sans âge, ses cheveux noirs et cet air pincé ne le trompèrent pas. Son agresseur n'était autre que son propre père. Il rangea sa dague et se précipita à son secours, le relevant à moitié. Daerin jurait tout bas, cherchant de quoi comprimer la plaie avec ses forces restantes. Calith fut plus prompt et enroula un bout de tissu autour de sa jambe, serrant sans douceur le nœud. Un sursaut, une nouvelle grimace.
- Par Cherug, Calith ! Je ne t'ai jamais appris à frapper ainsi ! Qu'est-ce qui t'as pris ?
Il chuchotait mais ses précautions furent rapidement réduites à néant par un rire joyeux d'adolescent. Il jura à nouveau, cherchant à se traîner plus loin. Calith l'aida à se relever et le soutint dans sa retraite, ne pouvant pourtant pas bloquer son hilarité.
- Tu viens de me poignarder, et toi, ça te fait rire ? Je crois rêver !
- ... Tu as vraiment fait tout ça parce que tu t'inquiétais pour moi ?

Daerin ne répondit pas, même quand Calith se remit à rire.



el Par Calith  le 04/12/2011 à 16:42

Il pleuvait.
Il pleuvait à tel point que le sol forestier était devenu un ensemble boueux difficilement praticable. Les dernières feuilles persistantes ployaient sous les rafales continues, s’arrachant des arbres quand ce n’était pas des branches entières. La forêt gémissait, les feuillus grinçant de mécontentement, les animaux se réfugiant à toute vitesse, les oiseaux taisant leur chant au profit de celui du vent et de la pluie.

C’était un temps à ne pas sortir, pour Calith. Et pourtant, il se trouvait là, aux côtés de son père, perché sur un chêne vénérable qui leur offrait un abri précaire. Il était trempé jusqu’aux os, ses mèches noires lui collant au visage, gouttant doucement. Ce temps le rendait dépressif et il ne comprenait pas pourquoi Daerin restait planter là. Il se laissa tomber au pied de l’arbre, ignorant l’eau qui envahissait déjà ses bottes. Il n’était plus à ça prêt …
- Attends, Calith. Où vas-tu ?
Cette fameuse question, il lui posait de moins en moins. Depuis que l’elfe s’était chargé de tout pendant sa convalescence, Daerin avait fini par comprendre qu’il était apte à se débrouiller seul. Un coup de dague bien placé l’avait sans doute rappelé à la raison… Qui sait ? Dans tous les cas, il n’était maintenant pas rare de voir Calith partir pour plusieurs jours sans donner de nouvelles. Ils avaient pris chacun l’habitude d’honorer la solitude de l’autre, vaquant à leurs affaires, et ce, depuis une dizaine d’années.
- Savourer un bon vin chaud, le temps ne nous est pas favorable. Je préfère attendre que ça se calme.
Daerin le fixa, d’un air interloqué. Il ne s’était pas vraiment attendu à ce que son fils fréquente les tavernes. Un silence de quelques secondes s’écoula, pendant lequel Calith attendit une réponse sans saisir le fond du problème.
- Quoi ? finit-il par répondre.
- Tu rencontres des personnes intéressantes, là-bas ?
- Des Faucons, surtout. Ils sont nombreux à s’arrêter pour quelques heures … Des Loups aussi, parfois, et des nobles égarés qui ne supportent pas l’idée de dormir à la belle étoile !
- Je veux dire …
- Non.

La réponse était si spontanée qu’elle sonnait comme un mensonge. Il venait tout juste de comprendre où il voulait en venir … Et il était mauvais qu’ils s’engagent sur un terrain aussi glissant. Bien sûr qu’il avait eu l’occasion de rencontrer des filles, mais il n’avait aucune intention de lui préciser. Surtout pas en sachant que sa relation la plus sérieuse s’était soldé par un vol d’une des plus belles robes de sa mère. C’était le risque quand on s’amourachait d’une Faucon aussi libre qu’intransigeante envers les Nobles. Il avait suffit d’une clef délaissée …
- Et tu t’entends bien, avec ces nobles ?
- C’est tout ce qui t’inquiète ? Enfin… Non. Je ne leur adresse pas la parole, en général.

Il sembla se détendre. Décidément, comme si sa simple existence n’était pas une leçon suffisante ? Il évitait déjà sa mère comme la peste et s’en gardait d’en parler. Les Nobles l’observaient avec mépris, et les Elfes des Lunes ne se privaient pas d’en raconter un certain nombre dans leur dos. Non, décidément, c’était une mauvaise idée, et il se tâchait d’oublier bien vite les rares enseignements que sa mère lui avait prodigué.

Il passa d’un pied à l’autre, faisant claquer ses bottes dans la boue, évitant de croiser le regard de Daerin tout en attendant impatiemment qu’ils en terminent.
- Autre chose ?
- Oui. Tu remettras ça à une prochaine fois, le temps est idéal pour un entraînement.

Ses épaules s’affaissèrent, Calith lui rendant une expression consternée. Il se moquait de lui ? La pluie n’était pas prête de s’arrêter !
- Tu verras, rajouta t-il.
Calith soupira pour toute réponse.

~~~~

Daerin avait tracé une croix sur un arbre isolé, indiquant la cible à atteindre. Calith fit les gros yeux en constatant la distance qu’il lui était imposé. Avec les rafales constantes, les flèches ne partiraient jamais droit, et la pluie nuisait grandement à son champ de vision. Il avait eu raison de craindre cet entraînement. Il aurait vidé son carquois qu’il n’aurait toujours pas effleuré la cible ! La meilleure façon d’atteindre son objectif était d’user de son plus gros avantage : Sa force. Il banda son arc au point que son bras se mit à trembler sous l’effort, le bois souple malmené par cette pression intense. La flèche sortit en partie de sa position initiale, même si elle se révélait plus longue que celles qu’il utilisait couramment avec cet arc. Quand il relâcha son effort, le projectile siffla à travers les rafales et passa non loin de la cible, la force lui ayant donné l’impulsion suffisante pour maintenir sa trajectoire.
A une telle distance, il lui était impossible de percevoir les expressions de Daerin, mais aucun mot ne fut échangé au profit du vent, aussi, reprit lentement son œuvre. Il ne lui restait plus que deux flèches dans son carquois quand le bois grinça dangereusement. Il était parvenu à atteindre la cible par trois fois malgré son manque de précision, sans que sa force ne diminue, mais l’arme semblait peu disposée à continuer la manœuvre. Sans crier gare, le bois se fendit, se rompant à l’endroit même où se trouvait sa main, le griffant assez pour faire perler le sang. Calith resta abasourdi. L’arc était certes vieux mais pas au point de se rompre…

- Tu n’as décidément rien compris à l’exercice, Calith !
- Pardon ?
- Il te fallait jouer sur la précision et non sur la force, faire en sorte que ce mur de vents ne soit pas une entrave pour tes projectiles en réajustant ta position initiale en fonction des rafales … Pourquoi as-tu absolument cherché à les braver ?

Calith resta silencieux, son regard rivé sur l’arc. Sa leçon lui paraissait bien plus claire que celle de Daerin. L’arme lui avait fait payer son mauvais traitement. Il n’avait compté que sur sa force sans se préoccuper de ce que pouvait supporter son compagnon d’arme.
- C’est bon … Rentrons. On te trouvera un nouvel arc, Calith.

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Il s’était plusieurs fois demandé pourquoi Daerin s’était montré aussi laxiste avec un arc qui lui appartenait. Il ne supportait pourtant pas que l’on maltraite son matériel … Mais ce jour-là, en Na’Helli, il crut en saisir la raison. Son père s’était arrêté devant un étalage des plus complets qui était d’ailleurs tenu par un Faucon et non par un Noble. Calith resta estomaqué devant un choix aussi important. Il n’avait jamais vu auparavant autant d’arcs alignés, ce vendeur devait être sans conteste le meilleur de sa catégorie. Il ne fut d’ailleurs pas détrompé en remarquant le nombre de personnes qui s’arrêtait simplement pour observer d’un œil expert ces raretés. Car c’en était au vu du prix, tous était hors norme mais incroyablement cher.

- Choisis celui que tu veux, Calith, mais choisis bien. Je te l’achèterais. Un Faucon sans arc, c’est pire qu’un Noble sans toit !
Il resta la bouche ouverte, à observer son père, mais contrairement à ce que pouvait laisser entendre sa blague vaseuse, il était parfaitement sérieux. Il laissa ses doigts se promener sur le bois de plusieurs arcs, en empoignant d’autres pour viser une cible invisible, mais tous étaient semblables à l’ancien. Ils étaient souples, facile à prendre en main certes mais pas adapté à ses capacités. Il abandonna finalement l’étalage des arcs longs pour voir un peu plus loin. Les arcs courts ne l’intéressaient pas, mais un autre mis à part retient son attention. Il s’agissait bien d’un arc long, sauf que son bois était d’une couleur rare et étrange. Il était aussi noir que brillant, dense au point que l’on aurait pu le confondre avec un arc en métal. Mais des arcs pareils n’existaient pas, pourtant.

- C’est de l’ébène, lui précisa le vendeur, mais c’est un arc d’ornement. Il a été constitué dans un bois rare et élégant, utilisé habituellement pour les sculptures … Il n’a aucune souplesse, mais je suis plutôt fier des runes apposées ! Malheureusement, les Nobles ne sont pas friands de la symbolique des Lunes, et les nôtres n’achètent jamais ce type d’arcs.
Calith lui rendit un regard intrigué, avant de revenir à l’arc. Il prit le temps de le bander avant d’encocher une flèche invisible, pliant le bois avec force. Il était, effectivement, d’une rigidité incroyable qui le rendait désagréable. Mais cet arc avait du caractère et le tendre au maximum lui demandait une force considérable. Ce serait à lui de s’habituer et de l’apprivoiser, mais il était certain que ses tirs seraient capables de passer les pires rafales sans fléchir.
- Je vous déconseille de l’user en…
- Je vous le prends !
- Vous êtes sûr de vous ? Je croyais que vous cherchiez une arme digne de ce nom,
répondit le vendeur, interloqué.
- Mon fils veut cet arc, alors on le prend. Après tout, c’est à l’archer d’être digne de son arme et non l’inverse, non ?
Un sourire fendit les lèvres de Calith, fier de son achat. Daerin, lui, déchanta bien vite quand il aperçut le prix de l’arme en question…