Legends of Olympia : La Ballade des Mémoires - Grandeur et Décadence.
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Grandeur et Décadence.
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Dernière réponse le 08/06/2009 à 00:52

olymp Par Anastase de Khylion  le 03/06/2009 à 14:39

Tout était calme au palais des de Khylion. Dehors dans le parc, quelques oiseaux fiers faisaient des vocalises gracieuses perchés en haut des arbres finement taillés. Deux jardiniers arrangeaient, comme tous les jours, chaque plante, chaque fleur, chaque feuille; un paon déambulait tranquillement exhibant ses plumes où Héra avait jadis déposé les yeux d'Argos; un léger vent frais vagabondait entre les allées, assez pour permettre à cette chaude matinée d'être tout à fait agréable. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, un monde d'ailleurs fort riche et plein d'élégance. Grâce à des affaires florissantes et à des actions politiques passées, la famille de Khylion avait réussi à devenir une des familles les plus riches et les plus en vue de l'empire. Plus qu'une famille noble, cette dynastie était, sans aucune pédanterie, aristocrate. De fait, pour elle, avoir un titre et des richesses ne suffisait pas. Il fallait surtout y adjoindre l'élégance et la reconnaissance. Posséder beaucoup demeure inutile si on ne l'étale pas. Et ils avaient de quoi l'étaler. En plein milieu de Lardanium, à quelques pas du palais impérial, la demeure des de Khylion affichait un luxe sans retenue. Même un aveugle aurait pu sentir la richesse qui débordait d'au-delà des murs, dans les effluves de parfums qui émanaient du parc. Malgré cette vive impression de richesse, le spectateur ne pouvait s'empêcher de trouver que ces murs, ces tours, ces terrasses, ces portes, ces jardins avaient la plus grande élégance. Aucune personne de bonne foi ne pouvait nier ce fait : les de Khylion avaient du goût. Souvent imités, parfois copiés, rarement critiqués, peu de personnes arrivaient à atteindre cette alchimie étrange entre des matières ouvertement ronflantes, ostensibles et éclatantes, et une élégance gracieuse, simple et pure. Tout un chacun pouvait en être témoin en passant devant les grilles qui laissaient apercevoir la richesse du parc, l'élégance de la demeure et la majesté de la façade.

L'intérieur était encore plus raffiné que l'extérieur. Réservé à la haute société, aux nobles et aux privilégiés, il se devait de montrer un goût encore plus exquis que l'extérieur ouvert à tous les regards, vulgaires ou non. Après avoir passé l'immense porte massive qui séparait la maison de l'avenue, traversé les allées des jardins et monté quelques marches, les invités de marque entraient bien vite dans un immense hall très lumineux. Là, flamboyait un escalier de marbre qui se divisait rapidement en deux pour aller rejoindre deux galeries latérales tandis que trônait en son centre une statue d'un jeune adonis acheté à un artiste réputé de Lardanium, un certain Mick Elange. Cette statue représentait un lointain ancêtre qui s'était surtout illustré par sa beauté plus que par ses actes - actes qui en somme n'avaient pu avoir lieu que grâce à l'attention que lui avait porté en son temps, de haut-gradés en quête de beauté. La grandeur du hall et les nombreuses portes qu'il présentait laissaient deviner des salles en nombre, toutes plus raffinées les unes que les autres. Un peu partout dans la pièce, de nombreuses plantes décoratives grimpaient avec agilité, et pour un oeil non connaisseur, avec liberté. Rien de moins artificiel néanmoins. Chaque détail était étudié et rien n'était fait au hasard.

Pour autant, Athanasie de Khylion, dont le nom pouvait évoquer l'immortalité de sa beauté, ne portait aujourd'hui aucune attention à tous ces détails auxquels elle était d'habitude très attachée. Autant son âge était avancé, autant sa beauté ne dépérissait pas. Bien au contraire, les ans lui avaient accordé le charme de la sagesse qui vient quand la candeur de la jeunesse s'évapore. Elle avait les manières du monde et pour cela était très appréciée. Jamais offensante, toujours charmante, elle tenait couramment des salons qui n'avaient d'autres desseins que de garder de l'influence parmi les diverses familles nobles et d'obtenir leur soutien pour les actions politiques et commerciales de son mari, Alexandre de Khylion. Se distinguant plus dans le commerce qu'en politique, les affaires de celui-ci permettaient de soutenir un train de vie élevé, nécessaire pour garder une place importante dans la cité. Cependant, si tant de personnes se réunissaient dans le salon de Dame Athanasie, c'était non pas pour les affaires du père, mais bien à cause du fils. De fait, Anastase de Khylion était un homme à marier et l'un des partis les plus en vue de la haute société lardanienne. Devant un jeune et riche aristocrate, descendant d'une grande famille qui s'était illustrée en son temps, homme dont personne ne pouvait nier le charme, la civilité et le raffinement, il était assurément difficile pour beaucoup de mères de ne pas le vouloir comme gendre, et pour beaucoup de jeunes filles de ne pas le vouloir comme époux.

Mais revenons à Athanasie qui, contrairement à son habitude, ne remarque pas les nombreux détails de sa demeure et monte actuellement les escaliers tandis que l'écho de ses talons sur le marbre de l'escalier arrive aux oreilles de Skalli qui somnole légèrement dans l'antichambre d'Anastase, encore avinée par la soirée de la veille. Réveillée dans un sursaut propre à un voleur pris la main dans le sac, la naine courut rapidement vers un miroir, sauta pour s'y voir, s'arrangea rapidement les cheveux pour avoir l'air un peu soignée et se tint droite en attendant l'arrivée de la maîtresse de maison. Puis se souvenant qu'elle venait sûrement voir son fils, elle frappa délicatement puis avec force contre la porte de la chambre, n'entendant aucune réaction. Elle finit par prendre une grande inspiration et entra dans le lieu interdit pour vérifier que son maître était présentable. Anastase était étalé sur son lit, nu, l'intimité heureusement caché par un drap blanc. À côté remuait une forme qui fit soupirer Skalli.

-Madame votre mère arrive. Faites rapidement sortir votre conquête d'un soir, si vous voulez être présentable et non pas dans les bras d'une jeune fe...
Elle ne put finir sa phrase en voyant que la forme n'était pas une de ses nymphes habituelles qui venaient des grandes familles lardanienne, mais un jeune homme. Anastase qui s'était rapidement éveillé vit l'interrogation de la naine et haussant un sourcil et esquissant un sourire, lui répondit:
-J'avais envie de changer. Il faut varier les plaisirs.
Puis quittant brutalement son ton entendu, il se tourna vers la personne un peu décontenancée qui se tenait à ses côtés et lui lança sèchement ces quelques paroles en lui jetant ses vêtements :
-Il y a une porte dérobée là-bas. Pars par là. Et vite. Skalli, retiens ma mère pendant que je me prépare.
-Je me demande jusqu'où ta décadence ira...
soupira Skalli avec réprobation, perdant le ton officiel qu'elle avait employé devant l'inconnu.
-Bien que Mère ne se rendra pas compte que tu es encore saoul d'hier, n'oublie pas que je peux toujours le lui faire remarquer alors tiens ta langue, sale naine, ou je t'arrache l'autre oeil.

D'aucun pourrait s'étonner de l'attitude d'Anastase. De fait pour beaucoup, il frôlait la perfection : il combinait la beauté, l'élégance, le charme, l'intelligence, la naissance. Il paraissait si attentionné, d'une gentillesse si rare... Mais pour ceux qui le connaissaient à fond, il était méprisable. À toutes ses qualités étaient alliés l'orgueil, la suffisance, la vanité et le mépris de tout ce qu'il considérait comme inférieur. Oui, la qualité qu'on pouvait vraiment lui reconnaître, c'était bien son hypocrisie qui lui permettait de faire croire à une gentillesse, à une dévotion et à un respect qui étaient toujours feints et simulés. Il avait des qualités, le savait et n'avait aucune considération pour ceux qui ne les avaient pas toutes, à savoir selon lui, personne.

Skalli quant à elle avait été embauchée peu longtemps après le grand exode des nains vers Lardanium. Une mode avait parcouru la noblesse lardanienne, mode qui consistait à engager des naines comme gouvernantes pour ses enfants, pour leur apprendre les rudiments du combat, et les us et coutumes nains. Anastase s'était très vite fermement ennuyé de sa chaperonne qui le suivait partout du matin au soir et eut bien vite un moyen de pression sur elle. Très portée sur l'alcool et le luxe, Skalli arpentait Lardanium dans tout son côté crépusculaire, entre chansons paillardes et coulées de champagnes. C'est ainsi qu'au fur et à mesure, un marchandage se mit en place entre eux deux. Chacun conservait sa liberté et gardait le secret de la vie décadente de l'autre. Plus qu'un marchandage, c'était bien plutôt un chantage. Anastase avait les rênes entre les mains et contrôlait malgré les résistances de la naine, tout ce qu'elle pouvait dire ou faire. À sa bonté feinte s'ajoutait la menace répétée -et horriblement efficace- de lui couper les vivres. Skalli devait donc subir les caprices et les lubies de l'olympien sans broncher. Elle s'y était faite et profitait au maximum du revenu que lui offrait cette surveillance forcée pour oublier le caractère insupportable de ce qui lui servait de maître.
-C'est bon je la retiens mais fais vite. Après je ne répondrai plus de rien.

Elle eut juste le temps de sortir et de patienter quelques secondes dans l'antichambre avant de voir rentrer Athanasie de Khylion, dans sa toilette du matin.
-Anastase n'est-il donc toujours pas réveillé? dit-elle d'un ton charmant tout en retirant ses longs gants blancs.
-Madame veut bien l'excuser, il travaille depuis tôt ce matin et m'a dit qu'il ne voulait être dérangé sous aucun prétexte.
-Même par sa mère aimante et dévouée qu'il n'a pas saluée depuis au moins trois jours?
-Vous m'en voyez fort attristée, madame, je ne saurais que vous faire patienter dans l'antichambre, dans l'attente qu'il veuille bien sortir la tête de son travail.
-Ah dieu qu'il est cruel avec sa mère aimante.
-Pourtant vous savez bien qu'il vous aime patiente.
-Je me le dis toujours, je le redis sans cesse,
Mais il devrait comprendre et voir que ça me blesse.
-Il vous aime Madame, et vous seule en doutez.
Veuillez tout simplement attendre et patienter.

Certains pourraient s'étonner de l'extrême aisance oratoire d'une naine, descendante de mineurs. Il faut juste se dire qu'à force de côtoyer un certain milieu, on conçoit bien de sorte qu'on énonce clairement, permettant à la parole de venir aisément. Du moins, si l'on en revient à nos deux actrices, on verra arriver sur scène un troisième acteur, annoncé par la naine en une belle réplique, suivant les règles classiques.
-Mais je l'entends venir, vos voeux sont exaucés.
-Que se passe-t-il ici? Et quelle tête faites-vous Mère! On pourrait presque croire qu'une tragédie s'est déroulée il y a un instant.

Avec respect, noblesse et prévenance, il prit délicatement la main de sa mère pour y déposer un baiser. Bien qu'ayant un oeil vif et une vue perçante, Athanasie ne pouvait déceler la hâte avec laquelle Anastase avait mis sa toilette. De fait, habitué des habillages en catastrophe, ce dernier gardait un calme et une élégance à toute épreuve.
-Skalli m'a fait savoir que tu travaillais depuis l'aube et n'osait me laisser entrer de peur de te déranger. C'est une honte que tu ne reçoives ta mère en toute circonstance et que tu laisses cette tâche ingrate de me faire patienter à notre gouvernante.
-Skalli, combien de fois faudra-t-il te répéter que ma mère est ce qui pour moi compte le plus. Si elle désire entrer, il est inconvenant de la laisser patienter.
-J'ai mal supposé alors,
répliqua Skalli, habituée aux retournements de situation dus à la présence d'une tierce personne devant laquelle il fallait être affable. Je pensais que vous ne vouliez pas être dérangé pendant que vous travailliez, si je suis ce que vous m'avez dit tôt ce matin.
-Exactement, je travaillais. Mais ce n'est pas une excuse. Enfin passons. Père m'a donné des comptes à faire, et j'ai encore certains cours à bien connaître à l'université.
-Je suis fière que mon fils fasse tant d'effort pour son avenir et pour la famille.
-C'est entièrement pour vous que je me dévoue, Mère.


Skalli imperturbable assistait à ces mensonges quotidiens, habituée à l'immoralité d'Anastase. Grâce à lui, elle avait pu voir jusqu'où le meilleur goût et la plus belle des façades pouvaient cacher la plus grande décadence et la pire immoralité. Mais après tout, tant qu'on la payait pour ça, elle pouvait bien laisser passer beaucoup de choses.



olymp Par Neikh Phronis  le 04/06/2009 à 16:27

Le long d’une large avenue pavée, un olympien pressait le pas. La matinée touchait à sa fin, et le vent frais qui jusqu’à présent gardait les citoyens de Lardanium la blanche à l’abri d’un coup de chaleur allait en s’amenuisant.
Epée à la ceinture et sac au dos rempli d’objets et de denrées divers, Neikh Phronis se hâtait, ses bottes de cuir claquant sur le dallage soigneusement ajusté, jouait des épaules et parfois des coudes pour se frayer un chemin dans la foule croissante et bruyante des marchands, gardes, simples clients ou habiles négociants qui encombrait le boulevard, gênant la circulation des chars et carrosses menant les plus riches vers les rendez-vous qu’ils se devaient d’honorer. Le tout était rapidement exaspérant pour quiconque appréciait le calme et la sérénité ; hélas pour lui, Neikh était de ceux-là.
Rapidement, il quitta l’artère principale et s’engagea dans une rue perpendiculaire, quatre fois moins large et bien moins peuplée. Aussi loin que portait son regard, des parcs la bordaient où se dressaient avec orgueil des arbres plusieurs fois centenaires, qui prodiguaient leur ombre bienvenue aux voies adjacentes.
Après quelques centaines de mètres en ligne droite, l’olympien obliqua sur sa droite. Peu après, il tourna une nouvelle fois et se faufila dans un parc boisé par un petit portail de fer forgé, visiblement prévu pour les domestiques car ne présentant aucun ornement particulier.
Le domaine était extraordinairement silencieux, par contraste avec le centre-ville qu’il jouxtait pourtant. Seuls étaient audibles les chants des oiseaux, les cris des paons en rut, le clapotis des fontaines de marbre ouvragé disposées géométriquement, et
, en approchant la grande demeure que l’on devinait derrière les allées aux haies soigneusement taillées, les voix posées des occupants, visiblement en grande discussion.

« ...que je me dévoue, mère. »

Neikh reconnut le ton mesuré d’Anastase, et maugréa pour lui-même. Ce petit prétentieux mentait encore à sa mère, sans doute pour camoufler la nuit de débauche qu’il venait de passer.
Sur sa gauche, une porte s’ouvrit avec une lenteur précautionneuse, laissant passer un jeune homme à demi éveillé et habillé, qui sursauta en l’apercevant et resta là, les bras ballants, pendant quelques trop longs instants.

«Vous...Vous êtes le garde du corps d’Anastase, c’est ça? Vous n’allez rien me faire?
-Ah. Tu étais moins ivre que ce que j’ai pensé, hier soir. Pars vite, avant que quelqu’un de plus bavard que moi ne te tombe dessus. Anastase ferait semblant de ne pas te connaître si l’on te trouvait ici, et tu serais traité comme on traite les voleurs, c’est-à-dire mal. »

D’un mouvement de menton, Neikh indiqua le chemin menant au portillon à l’intrus, qui s’en fut à toutes jambes. Le « garde du corps » le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’angle d’une haie de charmes, et allait pour entrer dans la demeure par la porte réservée aux serviteurs lorsqu’une voix féminine le héla.

« Neikh! Cria la naine borgne. Monte vite, maître Anastase t’attend et semble moyennement patient!
-Skalli, fit la voix aimable du maître susnommé. Veuillez vous écarter de ma fenêtre, je vous prie, afin qu'un courant d'air malvenu ne vienne pas mettre à mal ma santé."

La naine rentra la tête et ferma la fenêtre, étouffant la voix d’ Athanasie de Khylion, qui semblait vouloir entretenir son fils d’une affaire des plus urgentes, où il était question d’argent, de monopole sur une certaine épice et d’embauche de nouveaux domestiques.
Avec une moue désabusée, Neikh entra, parcourut quelques couloirs et commença à monter avec motivation toute relative un étroit escalier en colimaçon, encore une fois à l’usage des valets, qui menait non loin de la chambre de son maître. Il soupira.
Quelques années auparavant, on l’appelait encore Sieur Phronis. Il était le dernier fils d’une longue lignée de marchands plus qu’aisés, qu’une longue vendetta aussi sanglante qu’occulte avait opposée à la famille De Khylion ; un combat acharné qui avait duré un demi-siècle suite à une sombre histoire de viol, et qui n’avait pris fin que deux ans plus tôt avec le décès « accidentel »de Rhodias Phronis, le père de Neikh, faisant de celui-ci le dernier homme encore en vie de sa famille.
Pendant quelques saisons, Neikh avait bien tenté conjuguer le maintien des affaires familiales, les duels d’honneur et les escarmouches contre les spadassins dépêchés par la famille rivale afin d’en finir avec lui, mais sa santé s’en était rapidement ressentie. Par plusieurs fois, il n’avait échappé que d’extrême justesse aux hommes de main employés par les Khylion, récoltant au passage quelques cicatrices peu esthétiques sur les flancs et les bras ; sa capacité de réflexion s’était altérée rapidement sous l’influence néfaste de phases de sommeil trop courtes pour être réparatrices, et, malgré l’aide précieuse de sa mère et de ses deux soeurs, leurs commerces avaient périclité les uns après les autres, étouffés par la fortune monstrueuse des aristocrates.
Un soir, devant les femmes de sa famille, Neikh avait pris une décision. S’il ne pouvait sauver sa vie, il sauverait au moins les affaires de la famille. Il avait souhaité bon courage à ses proches, et s’en était allé trouver les De Khylion devant chez eux dans l’heure qui avait suivi. Leur fils, Anastase, fut celui qui vint le trouver. Neikh lui offrit alors sa vie sans combat contre la cessation des pressions sur sa famille. L’autre avait souri. Il avait visiblement bu. De l’intérieur de l’immense résidence provenaient des cris de joie, des chants et des éclats de rire. Une fête s’y tenait.

« Neikh Phronis. Le dernier de la famille. Et vous venez me donner votre vie, comme ça. »

Neikh, mâchoires serrées, s’était contenté de soutenir son regard.

« Certes, je pourrais vous tuer ici même, mais à cette tâche le coeur me manque. Il faut que vous sachiez que malgré la lutte qui oppose nos familles, je n’en reste pas moins pourvu de sentiments, et votre bravoure ne me laisse pas indifférent.
Aussi vais-je vous récompenser. Je vous prends à mon service, pour un temps indéterminé. On m’a vanté votre conversation et votre érudition dans certains domaines, de même que votre progression rapide à l’épée. Ces qualités vous seront fort utiles, tout comme à moi : en effet, je prévois de faire de vous mon garde du corps assermenté. Vous serez nourri, logé et blanchi, et votre seul rôle sera de me suivre comme une ombre et de veiller sur ma santé.
Si vous acceptez, je promets de faire cesser les pressions exercées par ma famille sur la vôtre, qui pourra ainsi satisfaire ses créanciers qu’hélas, et par notre faute, j’imagine nombreux.
Ce marché vous convient-il?”

Anastase avait souri en inclinant légèrement la tête sur le côté droit, et le marchand avait opiné du chef. ”Vous avez ma parole.”

Neikh était resté sans bouger, le regard fixe. Il s’était attendu à mourir, à n’être plus rien, et il se retrouvait lié par sa parole, valet d’un aristocrate en apparence sympathique et affable, mais il n’arrivait pas à se sentir rassuré. Quelque chose n’allait pas.

« Je souhaiterais vous voir présent dans le grand salon d’ici une heure, si cela vous est possible. Votre service commencera aujourd’hui même. »

Le noble s’en était alors allé, laissant derrière lui un marchand dubitatif. Quelque chose, avait-il pensé, n’allait pas, mais il l’avait suivi.
Maintenant, il s’en mordait les doigts. Que ne l’avait-il pas tué ce soir-là? Rapidement, il s’était rendu compte que l’amabilité du jeune homme n’était qu’une façade, une couche de crépi luisant sur un mur branlant, perclus de défauts odieux, pourri des fondations au faîte, qui prenait plaisir à le traiter comme un esclave en le trainant partout avec lui, en toute occasion, tout en tournant dans la plaie de sa faillite le poignard de sa vie offerte.

Aujourd’hui, c’était avec une lassitude extrême qu’il trainait les pieds dans le couloir orné de tapisseries menant à la chambre d’Anastase. Il s’arrêta quelques instants devant un miroir de bronze poli et prit quelques instants pour s’épousseter. Le fils De Khylion n’aimait pas que l’on se présente à lui négligé. En l'occurrence, Neikh ne pouvait passer pour négligé. Vêtu d’une chemise de soie blanche et d’un pantalon de lin passé dans de solides bottes de cuir, le tout créé sur mesure par un tailleur onéreux, il ne pouvait prétendre être mal traité par son employeur. C’était bien le seul mérite qu’il lui concédait, et il savait que c’était uniquement parce qu’il emmenait son serviteur partout avec lui qu’il souhaitait le voir mis en valeur.
Il passa une main sur son visage point encore touché par les premières rides d’expression, ébouriffa ses cheveux blonds qui encadraient ses yeux et dissimulaient presque ses oreilles de leurs mèches rebelles. A vingt-cinq ans, il gâchait sa jeunesse au service d’un débauché.
Résolument, il entra dans l’antichambre précédant les appartements d’Anastase. Il s’inclina devant Athanasie de Khylion, salua d’un signe Skalli, et enfin alla ouvrir son sac à dos devant le jeune olympien.

« J’ai ce que vous m’aviez demandé, maître. Parchemin, encre, deux livres traitant de l’art magique, et diverses décoctions et herbes pour soigner vos...migraines. A ce propos, et si je puis me permettre, vous devriez travailler un peu moins, et un peu moins tard. Vous peines s’allègeraient d’autant. »

Il accompagna ses paroles pleines de sous-entendus d’un hochement de tête respectueux. Auprès des Khylion, il avait appris l’hypocrisie, le mensonge et l’occultation des faits. Il avait un bon maître.



nain Par Skalli Oeil-de-Coeur  le 04/06/2009 à 17:09

- A quoi bon soupirer ? soupira la naine une énième fois, passant à la va-vite une cape de laine criarde sur ses épaules un peu trop larges.

En deux temps trois mouvements elle se retrouvait dans la rue. Il lui fallait faire vite, avant l'heure de pointe, prendre rendez-vous à l’école de guerre pour son "charmant petit" Anastase.

Skalli soupira encore. Et encore, et encore, tout au long du chemin.
Cette fois-ci le garnement était allé trop loin. Beaucoup trop loin. Dire qu'elle avait dû refaire à sa pauvre mère le coup des alexandrins ! Proprement ignoble !

- Ecoute Anastase, ça ne peut plus durer... commença-t-elle à monologuer, triturant nerveusement ses bouclettes blondes.

Skalli avait toujours été fière de sa chevelure.
Il faut savoir que les cheveux sont aux naines ce que la barbe est aux nains, or il se murmurait que ceux de l’Oeil-de-Cœur vous renvoyaient l'éclat des Titans dans les yeux : soyeux, couleur blé, doux et toniques à la fois, ils étaient en toute simplicité l'incarnation suprême de la beauté féminine. Elle les avait fait pousser amoureusement, toujours plus longs, toujours plus bas, jusqu'au jour où le jeune Anastase, las de les tirer, était devenu expert en nœuds.
Soupir nostalgique.
Son protégé avait alors une douzaine d’années, et déjà tout cerné du peuple de Kazad.
Elle avait dû changer de coupe.

Oui... s’il y avait une qualité qu'on pouvait reconnaitre au fils de Khylion, c'était bien son intelligence. Son aptitude exceptionnelle à détecter les moindres points faibles, et cette faculté surprenante qu'il avait de les exploiter avec une efficacité et une aisance redoutables, propres à faire blêmir de jalousie le plus talentueux des maîtres chanteurs.

Personne, absolument personne ne pouvait y échapper.

Il y avait eu ses parents en premier lieu.
Anastase était fils unique, héritier, et par là-même symbole de fierté et d'espoir pour sa noble famille. Il s’efforçait de tenir ce rôle, en façade, maîtrisait l'art des courbettes à la perfection, ainsi que celui de la rhétorique et du charme ah, du charme... ! Comme nul autre ! Il savait se faire adorer et en usait sans parcimonie lorsqu'il s'agissait de briller en société. Ses parents en étaient ravis et comblés. Ils lui vouaient une confiance absolue ainsi qu’une admiration sans borne. C’était un génie, un prodige !... à qui était laissée en conséquence une grande marge de liberté, restreinte uniquement par l'imposition d’une vertueuse gouvernante qui avait - failli ! - avoir sur lui un minimum d'autorité, mais reconnaissait intérieurement son échec.

Parce qu'il y avait eu Skalli ensuite, la vertueuse gouvernante en question. Elle en d'autres termes, qu'il avait su rouler comme il roulait tous ceux de son entourage.
Il devait alors avoir 17 ans, elle se remémorait ce soir-là où comme tant d’autres soirs elle s'en était allée... faire un petit tour. Comme à l'accoutumée l’Oeil-de-Cœur avait patiemment attendu que la maisonnée soit endormie, puis s'était glissée au dehors, une bourse bien remplie pendue à son ceinturon. Elle s'était employée à la vider en faisant sa quasi-rituelle tournée des bars, et après avoir chanté et dansé sur les tables tout son saoul (ce qui était le cas de le dire) des heures durant (l’intérêt d’un bon salaire), était rentrée comme une fleur chez ses maîtres de Khylion... où Anastase l'attendait, mollement étendu sur le luxueux sofa du grand salon, lueur de triomphe amusée dans le fond des pupilles.
- Anast...
- ase. Anastase. Mais dites-moi, n'auriez-vous point aperçu ma bien aimée gouvernante ? Naine de race, respectable de mœurs. Plus sobre qu'elle, tu meurs.
- Anastase mais... vous avez bu ?
- A l'évidence moins que vous, tantine. Voyez-vous j'avais... mieux à faire.

Ce disant, Anastase avait réajusté le bas de sa chemise d’un geste désinvolte et néanmoins éloquent : ça n'était pas lui qui l'avait froissée. Il souriait à pleines dents, carnassier.
- Vous n’avez pas osé !? s'était insurgée la naine. Il avait ri.
- Mais non voyons ! Qui donc oserait, en votre présence ? Vous que ma chère mère emploie à veiller au grain. Qui donc oserait voyons, non !
Skalli s’était empourprée.
- Votre mère saura tout demain, Anastase, avait-elle murmuré d’une voix éraillée.
- La borgne, parle demain et tu seras virée. Dans le meilleur des cas.
Il avait laissé planer dix secondes de silence, le temps pour son interlocutrice de réaliser pleinement l'inconfort de la situation dans laquelle elle se trouvait, puis avait poursuivi d’un ton nonchalant :
- Mais en vérité, ça me déplairait je dois dire. Comprenons nous, quand père aura fait jeter tes entrailles imbibées d’alcool aux quatre coins de l’arène des lions – pauvres bêtes , tu risqueras d’être remplacée par quelqu’un d'un tant soit peu plus compétent qu'une barrique à courtes pattes, ce qui n’arrangera pas mes petites affaires... Je vais donc (bâillement) te garder. Tant que tu seras... gentille. Mais je ne doute pas de ta compréhension et de ton entier dévouement à ma personne, n’est-ce pas Skalli ?
Elle le revoyait agiter sa main, comme pour chasser un insecte. Puis sans la regarder, ajouter distraitement :
- J’attends Climène demain minuit. Tu sais, la petite coiffeuse de l'autre jour. Tu lui ouvriras la porte, et sois discrète surtout.
Voilà comment Anastase l'avait possédée. Voilà comment il avait possédé la petite coiffeuse, et les suivantes, et les suivants. Voilà comment il menait son monde.

Il menait Neikh, aussi, dont il avait fait son garde du corps personnel dans d'obscures circonstances. Le jeune Neikh Phronis était un olympien de fort belle allure, droit, éduqué, mais continuellement morose en présence de celui qu'il appelait son "maître". Etrangement il servait le fils de Khylion comme un parfait esclave, semblant pourtant abhorrer ce dernier. Nul doute qu'un pacte avait été scellé entre eux. Nul doute non plus quant au bénéficiaire dudit pacte.

Anastase menait tout. Absolument tout.

- Ecoute Anastase, ça ne peut plus durer... non. Ecoute Anastase, il faut qu’on parle toi et m... non. Ecoute Anastase, je t'aime beaucoup tu sais mais... non ! Rha non ! Ecoute Anastase...

Personne ne pouvait y échapper.



geant Par Sayan Köttor  le 08/06/2009 à 00:52

Hrp : Un Rp à trois, c'est tellement plus drôle au moins vous aurez la chance de vous amuser! Rien à dire sinon que vous vous débrouillez très bien tous les trois, le style d'écriture des deux premiers est plutôt proche cela dit, c'est un pur travail d'équipe :P