Le Chaman avait forcé l’allure. Isa ne semblait pas peiner à le suivre. Et il avait veillé à ne jamais se laisser distancer. Au bout de deux heures de course, ils avaient franchi les portes de la ville, munis d’une autorisation de la Juge pour son ancienne maîtresse. Les gardes n’avaient opposé aucune difficulté.

Immédiatement, le Chaman s’était dirigé vers le cendre de la cité, là où il avait le plus de chances de croiser celui qu’il recherchait. Il aperçut trois Olympiens et la Juge, non loin de l’arbre des Murmures. D’un regard il sut que les deux Olympiennes n’étaient pas les gardes du corps du Prince : à la façon qu’avait ce dernier de les regarder, leur présence le contrariait. Sans doute était-ce les deux femmes qui avaient cherché refuge à Na’Helli.

Arrivé à la hauteur du Prince, il exécuta une révérence, comme l’aurait fait n’importe quel Noble, ignorant les deux Olympiennes. Il se présenta :

Prince de Khylion... Je suis Elen, Chaman du Clan du Loup. C’est un honneur de vous rencontrer.

Il adressa un bref regard à la Juge, s’inclinant, comme il l’avait fait pour le Prince, pour la saluer.

Juge Az’lissüe...

Il reporta ensuite toute son attention au Prince de Khylion. Ce qu’il avait à lui dire ne pouvait souffrir d’aucun retard et à dire vrai, il semblait pressé d’en finir.

Avez-vous réfléchi à ma proposition ? Il me tarde de pouvoir m’entretenir avec vous, Prince de Khylion. Au calme. Loin de la cité et de son agitation. ajouta-t-il, lançant un regard soupçonneux aux deux Olympiennes, qui suivaient l’échange à quelques pas seulement. Dame Aileen nous attend là bas, parait-il. Si vous consentez dès maintenant à prendre congé de madame le Juge, nous pouvons être à la Tanière d’ici la mi journée. Et vous devriez être rentré à Na’Helli avant l’heure du dîner. Sauf si vous souhaitez profiter de l’hospitalité des miens.

Bien sur, nous pouvons différer notre entrevue, comme je vous l’ai présenté dans mes missives. Tout dépend de votre emploi du temps, messire. Je ne souhaite certainement pas vous soustraire à vos obligations.

Il n’avait pourtant que très peu de temps à sacrifier à l’Olympien. Si le sort d’Aileen occupait une grande part de son esprit, la réparation du Pilier l’obnubilait, comme si sa vie en dépendait. D’une certaine manière, c’était le cas. Qui savait combien de temps le Monde des Vivants demeurerait suspendu au dessus des Enfers privé de deux de ses Piliers ?

Syi plissa les yeux. Oui à peine avaient-ils repris leur chemin après avoir passé Mélodie et Elsaria que Elen venait les stopper. La juge s’arrêta donc de marcher, et dans son esprit résonnaient les dernières paroles du Prince ”Vous avez changé, Dame Az’lissüe.”. Parlait-il en bien, en mal? L’elfe avait bien tenté de déchiffrer ce qu’il pensait sur son visage, mais les gens de haute naissance ont cette habitude des gens civilisés de ne point montrer ce qu’ils pensent vraiment.

Aussi à son tour, elle répondit à Elen avec la voix la plus neutre possible.

Elen, Chaman du Clan du Loup, bienvenue à Na’Helli.

Malgré tout, son regard la trahissait encore, et il était clair que ce que proposait Elen ne la satisfaisait pas.

Vous devez savoir que le Prince Anastase de Khylion a du faire un long voyage pour venir ici. Une entretien dans votre tanière pourrait certainement attendre quelques jours.

Syi enchaîna immédiatement sur un ton bien plus doux,à l’adresse de Anastase.

Si vous souhaitez voir Aileen, je serai ravie de vous accompagner. Je n’ai pas pu discuter avec celle-ci depuis son retour. Mais cela peut aisément attendre.

Cependant, comme je m’apprêtais à vous le dire, Prince Anastase, j’avais prévu une soirée tranquille avec quelques musiciens. L’après-midi n’aurait pas été de trop pour récupérer de votre voyage.

Syi regarda autour d’elle, s’assurant que les deux olympiennes restaient en dehors de tout cela.

Anastase se retint de sourire lorsque Syi répondit à Elen. De toute évidence elle avait assurément changé. Et le chaman du clan du loup était d’évidence pressé.

-Mes salutations, chaman. J’ai bien considéré votre proposition et je suis tout à fait prêt à me rendre à votre tanière. Cependant, serait-il possible de nous y rendre seulement demain dès l’aube à l’heure où rougit la forêt? Je dois vous avouer que je viens d’arriver des montagnes et le voyage m’a épuisé. Passer une après-midi au calme dans les palais de Na’helli me ferait le plus grand bien.

L’olympien fixait Elen d’un regard bienveillant et sa voix se faisait presque amical.

-Tout du moins, je comprends parfaitement votre empressement et je vous promets de rejoindre votre tanière au plus tôt, avec le juge Syi si elle le souhaite. J’ai l’impression qu’elle a hâte de revoir Dame Aileen. Mais si vous préférez que cela soit plus intime, je m’y rendrai seul. Et si vraiment l’urgence vous presse, je peux m’y rendre dès maintenant, après m’être changé.

Décidément, il n’arrivait pas à être concerné par l’affaire. De quoi Elen voulait-il l’entretenir? Assurément quelque chose de pressant. Mais faire le voyage de si loin pour le voir... Il ne pensait pas être si populaire au point de faire déplacer les puissants.

-Quoi qu’il en soit, je suis à votre disposition. Quant à ma suite, elle est entrain de boire à la taverne. Je ne sais pas s’il est utile qu’elle nous suive.

Comme je vous l’ai dit, Prince de Khylion, il est hors de question pour moi de bouleverser votre emploi du temps. Nous irons donc demain, ainsi que vous le suggérez.

Le temps pressait, certes, mais il n’était pas à une nuit prêt. Cela lui permettrai de négocier, concernant le cocon de la Reine, dont il avait besoin pour réparer le Pilier. Et il aurait aussi du temps pour faire visiter la forêt à Isa. Cela l’enchantait.

Madame le Juge, vous pouvez venir, si vous le souhaitez et si le temps vous le permets. Néanmoins, il est vrai que je préfèrerai que l’entrevue ne soit privée. déclara-t-il à la magistrat, avant de se retourner vers le Prince :

Votre suite peut nous accompagner ou non, à votre convenance. Vous ne courrez aucun danger dans nos bois, surtout si c’est moi qui vous escorte. Néanmoins, je comprendrai parfaitement que vous préfériez avoir un rempart supplémentaire pour vous protéger. C’est là une chose toute naturelle : personne n’est à l’abri de l’attaque d’un fanatique, je le crains.

Je vous donne donc rendez vous demain matin, à l’aube. Profitez bien de votre soirée. La cité est merveilleusement bien illuminée en cette saison, vous le constaterez. Et l’humeur est à la fête, avec le retour des beaux jours. Je suis certain qu’avec dame Az’lissüe pour guide, vous ne manquerez aucune occasion de vous amuser.

Après s’être incliné une fois encore, l’Intendant se retira, accompagné de Dame Isa.

Eh bien on dirait que nous avons du temps à tuer. Que diriez vous d’en profiter pour visiter un peu la ville ?



Le lendemain, aux premières lueurs de l’aube



Il conduisit Anastase, Isa Cestia et la Juge jusqu’à la Tanière, par des chemins détournés et indirects, non pas pour tromper le sens de l’orientation du Prince mais bel et bien pour éviter des obstacles naturels tels que crevasses, rivières ou arbres morts. Isa les suivait, fermant la marche, par respect pour le rang du Prince, sans doute. Aileen et Calith les attendaient là bas, Le Faucon le lui avait dit. Il avait convaincu la jeune Elfe de rester auprès des Loups. Une petite victoire.

Lorsque enfin ils pénétrèrent dans la clairière des Ombres Cendrées, les Olympiens purent observer toute la tranquille majesté du lieu. Les oiseaux piaffaient avec le retour des beaux jours, emplissant l’atmosphère de leur joyeuse mélodie. Déjà, dans les branches du gigantesque chêne qui trônait au centre de l’espace, de nombreux nids avaient été bâtis. Les arbres fruitiers en bouton, parfois en fleur, et les couleurs dans les jardins laissaient présager un Chant du Renouveau des plus doux, après toutes les épreuves de l’année précédente. Les Loups s’affairaient à nettoyer les lieux des stigmates des saisons froides, déblayant les feuilles mortes et les branches cassées.

Un jeune loup, bien bâti pour son âge, et sorti depuis peu de l’adolescence, se présenta à eux, pour leur offrir à chacun un verre d’eau fraîche. Elen salua le Naos :

- Egazil, voudrais-tu avoir l'obligeance de faire visiter notre Tanière à Dame Isa Cestia ici présente ? Montre lui nos jardins ou notre bibliothèque, par exemple. Et répond à ses questions, veux-tu ?

Puis il se tourna vers la principale intéressée :

- Je vous rejoindrai sous peu. Je souhaiterai m’entretenir avec le Prince seul à seul, si cela ne vous ennuie pas. Ensuite je vous servirai personnellement de guide ! Je vous le promets.
- Alors à plus tard, Messieurs, fit Isa avec une courte révérence pour l’ancien Gouverneur de Lardanium. Puis elle sourit au jeune Loup chargé de l’accompagner. C’est très aimable à vous de me conduire, Egazil.

Le jeune Elfe prit avec elle la direction des jardins, tandis que Elen et Anastase se remettaient en route en direction de la Tanière.

Un chemin dont le dallage était partiellement recouvert de mousse menait à une lourde porte ronde, en bois massif, nichée sous une racine colossale du Chêne sacré du clan du Loup. Deux bassins, de chaque coté des pavés, se remplissaient constamment d’une eau claire et cristalline jaillissant de quelque source souterraine. Cela s’écoulait ensuite, via une conduite, vers la rivière toute proche, et irriguait les plantations des Loups.

L’entrée de la Tanière, grande ouverte, abritait Aileen, qui semblait les attendre. Calith l’avait bien “retenue” ici et se trouvait à ses côtés. Le Faucon était aussi habile que rusé, et un allié de poids. Elen lui avait souvent confié sa vie, sans l’ombre d’une hésitation, et il le referait à tout instant. Il vouait une admiration sans borne à l’Intendant du clan de Marcus. La porte n’était jamais fermée, dans la journée, cela afin d’illuminer le rez de chaussée de la Tanière.

Il invita Anastase et la Juge à entrer. L’intérieur, aux murs épais et finement ouvragés, semblait étrangement épargné par l’humidité. Le couloir parut d’abord obscur aux nouveaux arrivants, mais leurs yeux s’habituèrent bien vite à la chiche clarté dispensée par les globes lumineux placés à intervalles réguliers. Ces sphères, emplies de lucioles qui voletaient en tout sens, dispensaient une douce lumière toute l’année, sans risquer d’intoxiquer les Loups avec de la fumée ou de déclencher un incendie.

Calith était visiblement décidé à demeurer dans les jardins. Elen ne ferait rien pour lui faire changer d’avis.

Elen conduisit ses invités à l’ancienne ambassade, où l’on recevait généralement les dignitaires de tout horizon. La pièce, de dimension respectable, renfermait des sièges molletonnés richement décorés par des motifs en Loup Ancien. Plusieurs chandelles éclairaient plus confortablement les lieux, disposées sur une lourde table de bois, elle aussi richement décorée. L’endroit était généralement jugé relativement confortable par la plupart des invités, même de noble extraction, et bien trop ostentatoire et luxueuse par le Peuple des Lunes.

Après avoir invité le Prince et la magistrat à prendre place, ainsi que Aileen, il s’installa à son tour, face aux deux Nobles..

- Prince, désirez vous un autre rafraîchissement ? Juge ? Aileen ?

La question, purement rhétorique, avait simplement pour but de décomplexer l’Olympien. Evonis, à présent dans la pièce, apportait divers bouteilles d’alcool de fruits relativement forts préparés par les Loups eux mêmes, une ale douce et fraîche, de l’eau et un vin typique de Na’Helli dans une carafe en cristal. Des amuses bouche raffinés furent aussi placés sur la table.

- Evonis, voudrais-tu avoir l'obligeance de conduire madame le Juge à mon bureau, et de lui remettre les copie des actes de cession des Sièges de Guildes des Sylphes aux Eclats ainsi qu’une copie de l’acte de vente des sièges aux Ombres de Liae ?

Evonis s’inclina et invita Syi à le suivre. Elen attendit que les deux s’éclipsent, pour ces raisons relativement officielles, et purement administratives. Il n’aurait que quelques instants pour parler au Prince.

- Prince, je n’irai pas par quatre chemin. Si je vous ai invité ici, c’est pour vous assurer mon soutien. Sans vouloir vous offenser, je sais que, bien que vous le cachiez, vous entretenez une relation avec l’Intendante Aileen toute autre que celle d’un maître et de son esclave. Je l’ai lu dans ses yeux, à elle. Vous êtes certainement meilleur acteur, mais certains s’en rendront compte. Et je connais l’étroitesse d’esprit de notre société. Je sais à quel point ces relations sont méprisées par le commun des mortels. Cependant, je ne doute pas de la sincérité de ce qui vous lie tous les deux. Et je suis ravi que Aileen ait pu rencontrer quelqu’un tel que vous.

Cependant, et vous devez le comprendre, elle a quelques menues obligations envers son clan. Et c’est de cela dont il est question. Il faut que je m’entretienne avec elle, vous comprendrez, pour que son clan soit entre de bonnes mains. Ensuite, vous pourrez faire ce que bon vous semble, tous les deux.

Si tout allait bien, il irait parler avec Aileen dès que la Juge et Evonis seraient revenus, ce dernier pouvant entretenir un échange sur des banalités tandis que Chaman et Intendante échangeaient dans une autre pièce...

Prudence est mère de sûreté. Et aller dans la tanière des loups ne réjouissait pas véritablement Anastase. C’est ainsi qu’avant son départ pour la tanière, il appela son double dans sa chambre. Ils échangèrent rapidement leur vêtement, et le double, parfait avatar du prince partit, guidé par Elen.

La forêt, des piaillements à n’en plus finir, une vague odeur d’humus humide, bref la nature, son éveil et l’affluence d’émanations fortes venus des plantes. Les vagues fleurs sauvages égayaient le paysage mais n’arrivaient pas à égaler ces fleurs ”domestiques”, artificielles en quelque sorte, que l’on faisait pousser dans les jardins de Lardanium, à destination des tables nobles où elles allaient mourir en un soir.

Pourtant, Anastase regretta bien vite la forêt et ses couleurs en s’enfonçant dans la pénombre de la tanière. Assurément, en comparaison des palais inondés de lumière, l’antre des loups contrastait fortement. La salle dans laquelle on le fit asseoir notait un certain effort, mais un cruel manque de goût. Anastase n’en laissa évidemment rien transparaître et prit un air similaire à celui qu’il adoptait dans les grands salons lardaniens.

Il ne prit pas la peine de répondre à l’invitation à boire ou manger, ne faisant pas véritablement confiance à son hôte. Surtout, le départ de Syi qui était plutôt rude comme moyen de congédier le choqua presque. Le discours que lui tint Elen lui fit rapidement comprendre cette rudesse envers la juge.

-Chaman, je vous remercie de votre soutien, bien qu’il soit tout-à-fait déplacé, inconvenant et inapproprié. D’une part, pensez-vous véritablement que je recherche une relation stable avec la dénommée Aileen? Croyez-vous vraiment qu’un noble olympien comme moi a intérêt à avoir une relation avec une elfe des lunes? Je crains fort que vos idéaux ne vous soient montés à la tête. D’autre part, surtout, quoi que vous ayez lu dans les yeux d’Aileen, et quoi qu’elle ait pu vous dire, jamais, vous m’entendez, jamais, il n’y a eu l’ombre d’une relation entre nous. Assurément, Dame Aileen s’est éprise de moi, et je l’ai remarqué, bien évidemment. J’ai eu une attitude cordiale et noble avec elle, car je la savais amie avec Dame Az’lissüe que je respecte énormément. Mais s’il faut jurer, et bien, je le fais. Je jure sur les dieux et par Zeus le plus grand de tous, que moi, Anastase de Khylion ici présent n’ait jamais eu de relations ni de sentiments pour la dénommée Aileen.

Anastase fixait le chaman du clan du loup. S’il ne montrait aucune rage, son ton était fort et catégorique.

-En bref, entretenez-vous avec elle, faites la entretenir son cclan, gardez la près de vous. J’aimerais seulement, en considération des bons traitements que je lui ai prodigués, que les forestiers fassent un geste envers ma personne et daignent au moins rembourser la somme que j’ai déboursé pour l’acquérir.

Aileen avait attendu ce moment avec anxiété, l’arrivée d’Elen et d’Anastase. Elle nota aussi que Syi les accompagnait, ainsi qu’une olympienne, celle qui avait acheté Elen. Pour ce qu’elle en savait, le Loup s’était attaché à elle et elle ne l’avait pas maltraité... Un peu comme elle même en somme... a quelques différences près. Elle salua poliment la petite troupe et les accompagna à l’intérieur de la Tanière sans mot dire.

Le luxe de la pièce où ils se rendirent l’incommodait un peu à vrai dire, mais elle pouvait comprendre que les Loups fassent des efforts pour mettre leurs nobles invités dans de bonnes conditions... Elle refusa d’un signe de tête lorsqu’Elen proposa des rafraîchissements. Elle ne se sentait pas très bien, parmi tout ce beau monde, d’autant plus qu’elle continuait d’ignorer les intentions d’Elen. Puis elle fixa le dos de Syi et d’Evonis alors qu’ils s’éloignaient. Elen profita de cet instant pour attaquer les choses sérieuses.
Elle reporta vivement son attention sur lui, le fixant d’un air mi-figue mi-raisin...

Certes, il avait l’air de se montrer favorable à ce qu’elle ressentait mais... Étrangement, l’entendre par la bouche d’Elen lui faisait une drôle d’impression... Et puis, qu’avait-il pu lire dans son regard alors qu’ils s’étaient à peine vu ? Elle réprima un sourire songeant que ses yeux étaient sans doute moins bavards que les messages d’Amallya. Elle laissa néanmoins passer ce détail. La femme sauvage lui avait sans doute également parlé de ses réticences vis à vis de son clan, ce qui expliquait le pourquoi de cette entrevue...
Néanmoins, elle appréhendait la réponse du prince et n’osa pas tourner son regard vers lui... Et sa réponse lui confirma qu’elle avait bien fait.

Elle essayait de n’en rien montrer mais ses mots... Ce qu’il osa dire à Elen la plongea à la fois dans une rage folle et dans une profonde tristesse. Elle se doutait qu’elle n’était rien, pour lui. Elle le savait au fond d’elle même, il l’avait même plusieurs fois ramenée à son statut de simple esclave lors de ses discussions avec Amallya. Mais pourtant, se l’entendre cracher à la figure aussi nettement, ça n’était pas pareil... Il parlait même d’or ! Et il parlait d’elle comme si elle n’était pas là, comme si elle n’entendait pas et... Et... Et comme s’il voulait juste s’en débarrasser ! Et pourtant... Il mentait !! Elle brûlait d’envie de se lever et de le hurler à Elen. Mensonges !
Les mots du prince lui revinrent en tête, il l’avait dit lui même à Amallya.

« Si vous n’êtes pas capable de vous rendre compte que ce qui uni Aileen à moi-même est bien plus qu’une relation entre un maître et un esclave, c’est que vous êtes aveugle. »

Et maintenant, là, face à Elen, il prétendait l’inverse. Mais qu’est ce qu’il voulait à la fin ?
Et elle, qu’est ce qu’elle devait faire ? Où était le mensonge ? Elle sera les poings, juste un instant, mâchoires serrées. Et si elle se levait pour l’empoigner et lui montrer qu’elle n’était pas un stupide objet qu’on jette à la poubelle ? Elle pourrait le faire, ça, le gifler, lui mettre un coup de poing... Juste une fois. Mais elle ne broncha pas. Quelque chose l’en retenait.

« ...est bien plus qu’une relation entre un maître et un esclave »...

Non, il n’avait pas pu mentir. Pas après tout ce qu’il s’était passé... Si ? Elle soupira bruyamment se passant les mains sur le visage, essayant d’évacuer un peu de sa colère et de ses doutes par ce geste. Un échec. Puis elle se tourna vers Elen, sans même faire mine de jeter le moindre coup d’œil à Anastase. Si elle l’avait fait elle n’aurait peut être pas pu contenir plus sa rage plus longtemps.

« Elen, on verra ça plus tard. Tu as dit que tu voulais me parler... De quoi il s’agit ? »

Son ton s’était fait bien plus sec que ce qu’elle pensait. Tant pis. Elle n’en pouvait plus. Qu’ils aillent ailleurs. Il fallait qu’ils ailleurs et qu’elle lui dise qu’Anastase mentait sur toute la ligne. Elen comprendrait sûrement... Et sûrement qu’il comprendrait les raisons de ce mensonge. Elle, elle n’en voyait pas l’intérêt... Peut être pour préserver la dignité de l’Olympien ? Qu’importe, elle en avait par dessus la tête de ces simagrées stupides. Elle tirerait tout ça au clair une bonne fois pour toute !

Le Chaman hocha la tête vers Aileen. Puis il lâcha au Prince, alors que Syi et Evonis revenaient justement, les papiers officiels ayant été transmis.

- Je suis heureux que vous souhaitiez la même chose que nous tous ici présent, à savoir la liberté de l’Intendante Aileen. Je vais aller m’entretenir avec elle. Posez autant de question qu’il vous plaira sur les Loups et ces lieux à Evonis. Il satisfera votre éventuelle curiosité. A présent, veuillez m’excuser, nous ne serons pas longs.

Le Chaman s’inclina brièvement puis quitta la pièce avec Aileen...

Anastase fronça les sourcils. Il eût pensé Aileen moins idiote. Assurément elle n’avait pas compris que quoi qu’il ait pu se passer véritablement, il n’aurait jamais pu l’avouer, et encore moins à un elfe. Bref, il avait été dur, mais un esprit noble aurait tout de suite flairé la ruse de salon. La présence de Syi qui revenait lui permit de reprendre un peu d’aise. Étrangement, il avait l’impression qu’ici aussi, elle était étrangère.

-Dame Az’lissüe, je dois dire qu’autant votre accueil est digne de la réputation de la noblesse, autant celle du châman, Anastase prit un ton légèrement pompeux pour le dire, est digne de celle que j’ai des Elfes des Lunes, malgré les efforts d’Aileen en leur faveur.

Il montra clairement à Evonis sa défiance en se détournant de lui et en se mettant en face de Syi.

-Il y a certes cette salle du meilleur goût… Enfin il a cherché à me faire avouer que j’avais abusé de mes charmes auprès de votre amie. Je ne sais pas quelles sont leurs coutumes, mais assurément, je ne les comprends pas. Je crains que le fait qu’Aileen m’ait trouvé du charme, soit un affront chez vous. Je m’en excuse par avance, car j’étais loin de me douter que cela provoquerait l’ire de tous ses amis des Lunes. C’était une preuve de bon goût dans le fond.

Venir ici si peu de temps après... Elle ne pensait pas que cela l’aurait perturbé, et pourtant elle ne pouvait se mentir. Dès qu’elle avait vu la Tanière, elle avait repensé à sa souveraine. Elle avait pensé aussi à cette historie. Elle n’avait pas eu le temps de s’en occuper avec la venue du prince. Ils voulaient utiliser son cocon. Ces elfes des lunes...
Un tant soit peu perdue dans ses pensées, la Juge avançait dignement dans cette demeure qui n’était pas la sienne. Sur le chemin ils n’avaient échangé que quelques mots, car elle même n’avait à aucun moment souhaité entamer une conversation en présence d’Elen. Une autre raison pour laquelle elle n’avait pas parlé, c’était simplement qu’elle se savait pas ce qui allait se passer et qu’elle ne tenait en rien à dévoiler son ignorance. Quelques remarques et quelques œillades lui avaient appris le minimum dont elle avait besoin pour se sortir avec dignité de cette situation. Anastase et Elen, entretenaient des rapports. Aileen se trouverait là-bas. Et peut-être cette olympienne, Isa Cestia s’était-elle entichée d’une forme de sympathie pour le Chaman si bien qu’elle l’accompagnait partout. Après tout, se dit-elle, pourquoi pas en haussant les épaules et en entrant dans la tanière.
Calith était resté dehors et Dame Isa Cestia avait purement et simplement été laissée à la porte. L’intervention du louveteau n’avait, aux yeux de Syi qu’une utilité : lui rappelait qu’elle n’était pas à Na’Helli. Lorsque l’Olympienne commença avec son guide la visite des lieux, Syi lui jeta un coup d’oeil, mais rien ne semblait la déranger. Aussi, imitant l’attitude d’Anastase, qu’elle ne pouvait s’empêcher de trouver exemplaire, que la jeune juge s’assit, ne sachant trop à quoi s’attendre.

Et si elle avait du s’attendre à quelque chose, ce n’était certainement pas à ça. Evonis venait d’arriver, et à peine Elen eut-il parlé, que sa mâchoire se crispa. Elen était intendant depuis bien longtemps qu’elle n’était juge, mais cela ne l’avait pas empêché de comprendre le message qu’il lui faisait passer. Elle n’était pas la bienvenue. Alors d’un geste souple, elle se leva, sans avoir eu l’occasion de profiter de ces sièges molletonnés, et précisa à l’intention d’Evonis, à voix haute afin que personne n’en perde une miette.

La prochaine fois vous amènerez ces documents directement à Na’Helli. Je ne viendrai pas récupérer ces papiers à chaque fois.

Après un bref regard à Anastase puis à Aileen, qui ne lui apporta aucune aide, d’un pas vif et bien déterminée à clore cette affaire au plus vite, Syi suivit Evonis jusqu’au bureau d’Elen. Les papiers étaient bien là. Tout était préparé. Pourtant elle ne put s’empêcher de sourire, convaincue, qu’elle saurait bientôt ce qu’Anastase et Elen s’étaient dit, et si ce n’était pas de la bouche de l’elfe, elle avait toute confiance en son noble invité.

Pendant un instant, au milieu de sa lecture, elle leva les yeux vers Evonis et hésita à entamer la conversation, puis se ravisa. lui aussi était assigné à la lecture des documents officiels et à sa surveillance. Il était simplement aux ordres de son clan. Lui parler ne servirait à rien. Ce ne fut que quelques minutes plus tard qu’elle reposa les feuillets sur le bureau et hocha la tête.

Tout me semble en ordre. Evonis, puis-je utiliser une de ces plumes afin d’apposer ma signature ? Je vous remercie.

La juge se leva, saisit les documents signés, sourit cordialement et sans autre émotion qu’une pointe d’énervement peu habilement camouflée, elle s’adressa au seul être, elle mise à part, présent dans la pièce.

J’imagine que je devrai rejoindre le Prince Anastase et Aileen. Il est vrai que j’ai hâte de la revoir.

L’Intendant remonta vers les étages, et trouva le Prince là où il l’avait laissé, en compagnie de la Juge et de Evonis. Il observa l’Olympien : se doutait-il un instant de ce qu’il venait de se produire ? Le Chaman s’inclina devant Anastase, s’inquiétant bien peu de la présence de Syi, prenant un air faussement désolé :

- Je suis navré, Prince. Il semblerait que l’Intendante Aileen vous ai menti sur ses sentiments. Elle ne ressent rien pour vous non plus. A dire vrai, elle m’a chargé de vous dire qu’elle ne voulait plus vous suivre et vous voir quitter les lieux. Cela dit, il serait très impoli de ma part de vous chasser d’ici.

Elle est bien meilleure actrice que je l’avais jugée. Elle nous aura tous dupés ! Elle vous aura abusé pour rendre son esclavage moins difficile, comprenez-la. Cependant, vous voici exaucé : elle restera ici, loin de vous, comme vous semblez le souhaiter. Je suis certain qu’un homme possédant votre prestige et votre prestance n’aura aucun mal à enivrer par ses charmes une personne ayant un rang bien plus digne du votre... ajouta-t-il, un sourire mystérieux traversant son visage.

Il poussa le verre destiné à Anastase vers celui-ci, avec une lenteur toute calculée, son regard fixé dans celui de l’Olympien, lourd de sous entendus. Qu’il s’en aille donc avec Syi, si cela lui chante. Et qu’il l'envoûte, même. Les choses s’enchaîneraient, les évènements s’imbriquant les uns aux autres, on ne peut plus favorables. Et cela lui donnerait un excellent prétexte pour la suite...

Quand Elen revint d’un air vaguement triomphant, Anastase se dit qu’il y avait mystère, et l’air bien trop enjoué du chaman et la demande d’Aileen n’étaient pas assez naturels.

-Oh, mais détrompez-vous, Aileen ne m’a jamais menti sur ses sentiments. Si elle a dupé quelqu’un s’est bien vous. Et si vous me pensez assez crédule ou bête pour croire qu’Aileen m’aurait demandé de partir sans même me congédier en personne, détrompez-vous encore une fois. Et preuve que vous mentez, Aileen est tout sauf une bonne actrice, bien au contraire, elle ne sait pas cacher ses sentiments que vous êtes si prompts à lire dans ses yeux.

Anastase tira sur les manches de ses gants, lança un regard au juge, ne daigna pas un instant le porter sur le verre qu’avait approché Elen.

-Pour autant, sachez que j’ai de la considération pour elle, et qu’il est fort inconvenant, après tous les services que je lui ai rendus de se fier à des gens qui me chassent sans politesse. Je doute que vous lui transmettiez, et je doute encore plus que vous m’autorisiez à la voir avant mon départ. Mais bon. J’espère que vous n’oublierez pas que 2000 pièces d’or, c’est très peu pour un séjour de quatre saisons dans mes palais. Et si vous permettez, j’aimerais me rendre auprès de la tombe de la Reine. Un sang noble mérite d’être honoré, même si les hommages funéraires dignes de son rang ne lui sont pas rendus.

-Messire, je suis navré que vous preniez les choses ainsi. L’Intendante m’a clairement fait transmettre les mots que je vous ai énoncés. Bien sur, je pourrai vous mener à elle. Mais elle ne serait pas charmée de vous voir, et encore moins que je trahisse sa confiance en agissant ainsi. Ce serait aussi un enchantement pour moi que de vous remettre la somme que vous demandée, malheureusement, comme vous vous en rendez compte, la vie que mon Peuple a choisie ne l’a pas enrichi. Les miens accordent plus de valeur à la vie de ceux de son peuple qu’aux biens matériels, vous comprendrez...

Elen afficha un sourire des plus malicieux. Le Prince voulait jouer. Il jouait à rappeler l’histoire à ceux qui en conservaient la trace depuis des temps immémoriaux. Grand bien lui fasse.

- La Reine n’avait pas le sang noble que vous lui prêtez. Elle était la première d’entre nous. Or, Na’Helli est postérieure aux Clans d’au moins trois mille ans. C’est un fait bien connu de tous. Elle n’était qu’un petit village que les miens parcouraient déjà les bois depuis des millénaires. Ce qui signifie, à fortiori, qu’elle fut la première Elfes. Et non la première des Nobles ou du Peuple des Lunes.

Et qui plus est, elle a elle même souhaitée être enterrée selon les rites de mon peuple. Messire Darwor et messire Gaver vous le confirmeront. Et c’est un affront que de penser que j’ai agi contre la volonté de notre ainée. Elle était ma Reine, tout autant que celle de la Juge ici présente, et ses choix, ses paroles et ses volontés sont indiscutables.

Néanmoins, j’accéderai à votre requête, puisque vous semblez souhaiter sincèrement lui rendre hommage.

Par Anastase
************

Je comprendrai que les elfes ont de quoi acheter des armes, mais pas de quoi sauver les leurs. Je suis sûr que Dame Aileen est touchée par votre geste. Mais peut-être que si je l’avais maltraitée, elle aurait pris de la valeur à vos yeux. Vous vous doutez que si je demande un échange, c’est bien par principe et non par avarice. Je n’ai cure de cet argent.

De toute évidence, Elen cherchait à le mettre en défaut, ne faisant qu’accroître l’antipathie qu’Anastase avait pour sa personne.

Quant à votre Reine, première des Elfes, c’est ce que l’on appelle couramment, avoir le sang pur, ce sang que les nobles se transmettent de père en fils, en se souciant de se mêler qu’avec des descendants de ces premiers, qui incarnent la force, la vigueur et la sagesse des peuples. Bien sûr, vous pouvez le mêler à n’importe quel animal comme bon vous semble, c’est votre droit, mais songer qu’un peuple qui perd la pureté de son sang, c’est un peuple qui connaîtra l’appauvrissement, la décadence et la ruine.

Quant aux exécuteurs testamentaires de la Reine, deux rebelles et un elfe des lunes, je dois avouer qu’il en fallait moins pour me convaincre de l’impartialité du choix. Je dois avouer que si un nain et deux géants affirmaient que l’Impératrice Salminar, morte à leur côté, souhaiterait être enterré à Zagnadar dans la demeure d’un des deux géants, je les croirai sur paroles. Loin de moi l’idée de les suspecter et de penser qu’ils sont la cause de la mort. Je suis en effet parfaitement d’accord sur le fait que c’est un affront que d’aller à l’encontre de leur volonté.

Le caractère acerbe de ses paroles n’était perceptible que dans l’intonation sèche et sévère de la voix du prince. Son visage, impassible, ne montrait aucun caractère extérieur de sentiment.

Quoi qu’il en soit, oui, je souhaite sincèrement lui rendre hommage.



Par Elen
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Prince, attacher une valeur pécuniaire, c’est reconnaître que l’on peut monnayer l’existence d’autrui. C’est une coutume que je laisse à votre charmante Noblesse de la cité Blanche. Pour nous, et je pense que la Juge en premier lieu, et tous ceux de Na’Helli, chaque être est inestimable. Et seul un charme pourrait nous faire penser le contraire. Mais certains seront prêt à vous rembourser vos dépenses, puisque c’est pour cela que vous demandez compensation. Des gens qui contrairement à nous comprennent l’enchantement qu’est la vie dans une demeure pleine de faste et de richesse. Mais ce n’est pas aux miens qu’il faut vous adresser.

Quant à Messire Darwor, il fait parti de la Noblesse, et n’a certainement pas participé au fâcheux évènements de Sigdil. On vous aura mal informé. Lui ainsi que Messire Gaver font aussi partis des premiers d’entre nous. Selon vos critères, ils sont aussi purs que la Reine l’était. Elle leur accordait pleine confiance, et ce n’est pas Dame Az’lissüe qui me contredira sur ce point. Notre bien aimée Juge n’aurait pas autorisé cette cérémonie sans cela, bien que je sache pertinemment que voir la Reine reposer parmi les miens la révoltait. N’est-ce pas, Dame Az’lissüe ?

Il fit une pause de quelques seconde, comme s’il la mettait au défi de s’élever contre le Scribe Royal, tout aussi Noble qu’elle, si ce n’est plus vu qu’il était presque aussi âgé que No’Irin. Et Gaver, qui possédait toute la confiance de la Reine. Elle mettait sans doute la parole du Chaman en doute, mais pas les leurs.

N’insultez pas la Noblesse de Na’Helli en prétendant qu’ils n’auraient pas pu empêcher une cérémonie faite par mon peuple. Surtout pour la souveraine de tous les Elfes. Ils en auraient largement eu les moyens. Et s’ils ne l’ont pas fait, c’est bien parce qu’ils n’avaient pas le choix. L’ordre n’émanait ni de moi, ni d’un des miens, mais ni plus ni moins que de la Reine, et avait été transmis par ses hérauts les plus fiables, ceux en qui nul ne pouvait douter.

Le Chaman savourait chaque instant : comparer les familles Nobles aux racines des clans, voilà une erreur que Anastase venait de commettre. La Noblesse de Na’Helli ne devait son rang qu’à ses murs, certainement pas à la pureté de son sang. Les Elfes des Lunes avaient globalement une ascendance bien plus ancienne et avaient longuement veillé à la pureté des clans, si ce n’est de leur peuple, au moins avec autant d’assiduité que ceux de Na’Helli, si ce n’est que l’initiative du Peuple des Lunes était antérieure :

Et qui plus est, sachez que mon peuple, s’il a précédé les citadins, est aussi purs qu’eux. Nos racines sont plus profondes que celles des nobles. Et si nous avons vu Na’Helli grandir et devenir la ville qu’elle est, c’est bien parce certains des nôtres ont renié leurs origines pour bâtir cette ville et se mélanger. De ce fait, il est un point sur lequel je ne peux pas vous donner tord : un peuple qui perd la pureté de son sang, bien qu’il se cache dans des bâtisses de pierre, est un peuple qui connaît l’appauvrissement spirituel, la décadence et que certains mène allègrement à la ruine en se laissant abuser.

Si les clans existent toujours, c’est bien parce que nous avons su conserver notre sang. Je vous mets au défi de trouver la trace d’une famille qui, comme celle qui compose mon clan, tire sa source du premier cycle ! Car n’en doutez pas, Prince, mes aïeuls font tous partis d’une lignée bien plus ancienne et plus pure que toutes celles que vous pourrez trouver à Na’Helli.

Par Syi
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Effectivement, ils ne sont pas longs.

Cela faisait déjà quelques minutes que Syi attendait en compagnie d’Anastase, compagnie qu’elle n’aurait en aucun cas trouvé déplaisante, s’il n’y avait eu, encore une fois, la présence d’Evonis. Visiblement son ton était ironique, et une fois cette remarque faite elle commença à échanger quelques banalités avec le Prince Anastase.

Comment s’est passé votre entretien, je vous présente toutes mes excuses pour la rudesse avec laquelle nous avons été reçu, j’espère que le Chaman Elen ne vous a pas ennuyé, etc. Rien d’extrêmement vexant, mais elle ne dit pas un seul mot qui aurait pu être agréable à l’oreille d’Evonis.

Lorsqu’enfin, Elen revint, la juge ne se fit pas prier pour prendre la parole :
Où est Aileen?

Malheureusement pour elle, Elen l’avait devancée. Elle se contenta donc de hocher la tête et le laisser la suite de l’entretien se dérouler. Fort bien lui en prit, car elle n’aurait su que dire si on lui avait mis un couteau pour la forcer à parler. Aileen éprouvait quelque chose pour le prince ? Etait-ce vrai? Elen disait que non. Mais il disait aussi qu’ell avait dit cela au Prince. Et si Elen mentait? Mais pourquoi le ferait-il ? Et pourquoi dans ce cas AIleen ne voulait plus voir Anastase? D’ailleurs pourquoi n’était-elle pas ici?
Les questions se déversaient au fond de son crâne et rapidement, un tic de se jeunesse lui revint. Elle saisit une mèche de cheveux et l’enroula autour de son index, la déroula, puis recommença. Dans tout cela, elle était perdue. Elle savait qu’il lui manquait des éléments mais elle aurait du être capable de comprendre quelque chose.
Finalement, lorsqu’elle reprit la parole, ce fut pour clore ce sujet qui lui déplaisait au plus haut point.

Chaman Elen, j’espère que vous ne nous avez pas fait venir jusqu’ici dans l’optique de nous entretenir de rites de séductions des vôtres. Et je ne vous apprendrai rien en vous faisant remarquer qu’il est fort inconvenant et injustifié d’aborder ce sujet.

Et comme vous le souhaitez, je peux le confirmer. La Reine avait accordé sa confiance aux Sires Darwor et Gaver, dont le sang est noble, sans aucun doute. On ne peut pas douter du souhait qu’a émis la Reine, même s’il est permis de douter des circonstances dans lesquels ce souhait à été émis. Mais je suppose que cela restera à jamais un mystère.
Mais, je tiens à vous rassurer, sachez que je ne suis en aucun cas révoltée. Elle l’était. Elle a prit sa décision de demeurer à jamais loin de la civilisation, hors des murs de Na’Helli, hors de ces bâtisses de pierres, ordonnées, qui renferment tant d’histoire, tant de savoirs.

Maintenant, et elle arrêta de jouer avec sa mèche, Chaman Elen, je vous prierai de bien vouloir accéder à la requête du Prince. Si vous ne souhaitez pas être présent je l’accompagnerai. Tout comme je trouverai un accord concernant Aileen, si vous ne faîtes rien pour elle.

Occupée à contredire Elen, Syi n’avait que peu accordé d’attention à Anastase. Pourtant c’est avec un ton involontairement plus doux qu’elle changea d’interlocuteur.

Prince Anastase, vous souhaitez rendre hommage à notre Reine, et Na’Helli vous est reconnaissant pour le respect que vous lui portez.


Par Elen
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Le Chaman releva à peine ce que la Juge disait. Elle lui offrait une porte de sortie qui ne permettrai pas à Anastase de lui répondre. Et cela lui convenait très bien, puisqu’il s’était juré que l’Olympien, tout Prince qu’il était, n’aurait certainement pas le dernier mot sur un sujet qui concernait seulement le peuple Elfique, et sur lequel son opinion avait aussi peu d’importance que celle de toute autre personne qu’un Elfe....

- Oh, mais j’ai fait tout ce qu’il fallait pour que dame Aileen soit libérée de ses charmantes obligations, vous savez... déclara-t-il, d’un ton neutre, appuyant comme à chaque fois sur le mot ”charmantes”. Mais effectivement, Juge Az’lissüe, vous êtes la sagesse même : il est temps de vous conduire là où repose notre bien aimée Reine, vous et le Prince. Je vais faire chercher l’Intendante Aileen, puisque messire de Khylion semble très désireux de la saluer. Elle comprendra. Et je pense qu’elle nous rejoindra au sanctuaire, je suppose qu’elle souhaite elle aussi rendre hommage à notre bien aimée souveraine.

Il envoya Evonis dans les étages inférieurs, pour qu’il demande à Aileen de bien vouloir les rejoindre. Le Prince ne pourrait certainement pas l’envouter une fois encore, pas en la présence de Syi ou la sienne. Et il n’autoriserait aucune entrevue particulière. Il ne savait pas précisément comment l’Olympien s’y était pris, et il n’en avait cure. Tout ce qui importait, c’est qu’il était bien capable de soumettre Aileen encore une fois si on lui en donnait l’occasion, et cela il ne pouvait le permettre.

Il conduisit le Prince et Syi à l’extérieur, appercevant Dame Isa à l’extérieur, qui subissait visiblement une description très démonstrative de la clairière des Ombres Cendrées. Le Jeune Loups faisait des grands gestes, dans un discours passionné. Cependant, lorsqu’il se rendit compte de la présence de son Chaman, il invita l’Olympienne à se joindre au groupe.

- Dame Isa, le Prince de Khylion souhaite rendre hommage à la Reine No’irin Kai’tlin. Vous pouvez nous accompagner, si vous le souhaitez, ou poursuivre la visite. A votre convenance.

Il adressa un sourire franc à celle qui avait été sa maîtresse. Contrairement à Anastase, elle ne lui inspirait aucune antipathie. Seulement un profond respect et une inébranlable confiance. La différence provenait sans doute du fait qu’elle ne cherchait pas à manipuler ceux qu’elle côtoyait, contrairement aux politiques...

Le groupe arriva bien vite devant la racine gigantesque sous laquelle reposait la Reine. Celle ci avait été recouverte d’hommages sous forme diverse et de provenance toute aussi variée : tous les Forestiers défilaient à la Tanière dans ce seul but. Certains allumaient des bougies, d’autres offraient de précieux objets certains écrivaient des lettres, des poèmes ou des chants qu’ils interprétaient sur place. Le Chaman resta silencieux, de tristes souvenirs lui revenant en mémoire. Si l’Olympien souhaitait rendre hommage à la Reine...


Par Anastase
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Syi ne lui avait pas laissé le temps de répondre et de mépriser ouvertement le chaman. Peut-être était-ce pour le mieux. Mais tout de même, sous-entendre que tout le monde était noble, sans aucune distinction, sans aucune relation particulière au pouvoir et à son exercice. Évidemment que l’origine de chacun remonte aux mêmes êtres! La formation de l’aristocratie d’une ville ne se faisait pas en un jour.

La réponse d’Elen laissa cependant sous-entendre qu’il avait découvert le charme d’Aileen. Pour autant, Anastase faisait encore confiance à la puissance d’Aphrodite et ne se laissa pas perturber. Surtout, Syi semblait montrer quelques signes d’exaspération ou de frustration, et il ne voulut pas parler plus amplement en risquant de la mettre mal à l’aise.

-Ce sera un véritable plaisir que de revoir Dame Aileen, chaman.

Revoir Isa le satisfit quelque peu, bien qu’il se demandait avec insistance les raisons de sa présence en ces lieux, et surtout de cette sorte de proximité qu’avait Elen pour elle.

-Dame Cestia, je suppose que vous avez trouvé agréable votre visite des lieux. J’espère que cela ne vous dérange pas que nous nous recueillions quelques temps sur la tombe de la Reine. C’était assurément une ennemie, mais la plus charismatique qu’il m’ait été donné de voir.

Lorsqu’il vit l’immense racine de l’arbre, Anastase ne put s’empêcher de laisser échapper un soupir. Alors c’était ça. Des milliers d’années de règne, des milliers d’années de sommeil, pour se retrouver sous une racine à pourrir près d’une tanière. Comment était-ce possible? Pourquoi aurait-elle souhaité cela? Les questions se bousculaient dans sa tête, et il ne put sortir de son esprit, cette idée forte que les dernières volontés de la reine avaient été travesties.

La visite avait été très plaisante et le guide aussi enjoué que charmant qu’Elen lui avait octroyé ne tarissait pas de détails et d’anecdotes sur de nombreux endroits de la Tanière. Puis les groupes se croisèrent et Isa, restée sur l’enthousiasme communicatif du jeune Loup, mit quelques minutes à comprendre que les discussions entre le Prince, le Chaman et la Juge n’avaient pas été aussi légères. Elle fit court, pour ne pas risquer de les indisposer davantage.

- Je ne peux manquer à l’honneur de vous accompagner, Messieurs. Ainsi vous l’avez rencontrée ? Fit-elle plus particulièrement à Anastase dont le compliment envers la Reine démontrait qu’elle avait dû le marquer.

Sans qu’elle s’en rend compte, ses pas devinrent feutrés alors qu’ils s’approchaient du lieu précis où étaient enterrées les cendres de No’irin.
Le spectacle était étrange, à la fois grandiose et intimiste, loin de ces monuments froids, ces grandes statues glacées, de tout ce marbre intemporel qu’on employait pour célébrer les morts illustres de l’Empire.
Cette grosse racine, simple mais gorgée de vie passerait les siècles tout aussi bien mais sans l’impression de mort et d’éloignement que la pierre procurait. C’était une belle façon de faire perdurer le souvenir de quelqu’un et c’est ce qui vint aux lèvres d’Isa quand elle s’approcha pour rendre ses hommages à cette ennemie à laquelle elle devait pourtant sa propre mort sans l’avoir jamais vue.

- Puisse Votre Souvenir rester vivace aux coeurs de ceux qui vous ont connue et la majesté de ce bosquet illustrer Votre Règne pour les siècles à venir.

Elle ne savait pas si ses voeux étaient appropriés mais ils étaient sincères. Elle regarda timidement Elen pour être sûre qu’elle n’avait pas commis d’impair.

Quelqu’un lui secouait doucement l’épaule... Aileen ouvrit les yeux et prit quelques instants pour s’habituer à la chiche lueur de la chambre, l’esprit encore tout embrumé. Elle se redressa et s’assit sur le lit, jetant un coup d’œil à Evonis qui se tenait là. Elle bailla à s’en décrocher la mâchoire. Elle aurait bien dormi un peu plus longtemps... Mais Elen avait sûrement envoyé l’Ashka justement pour la réveiller...

« -J’ai fait un drôle de rêve... Y avait des... Des espèces de mulots bleus qui courraient partout, et on devait essayer de les attraper... C’était pas facile, ils nous glissaient des doigts, comme si on essayait d’attraper des poissons en peine rivière...»

S’entendre dire ça la fit rire. Ce rêve, c’était juste du grand n’importe quoi... pensa-t-elle.
Elle s’assit sur le lit tandis qu’Evonis lui annonçait qu’Elen l’avait effectivement envoyé la chercher. Elle bondit sur ses pieds soudainement inquiète et parfaitement réveillée.

« -Quoi ? Pourquoi ? Il est quelle heure, j’ai dormi longtemps ? Ho non, j’aurais pas du m’endormir comme ça, je suis désolée...
-Non, ne t’inquiètes pas. Le Loup secoua la tête. Il ne s’est passé que peu de temps depuis que tu es ici. Mais Elen tiens à te voir rejoindre leur groupe...
-Ha bon... Son visage s’assombrit un peu... Elle allait devoir revoir Anastase, encore... Et Syi...Comment réagirait la noble à ce qu’Elen avait pu leur dire... ? Et qu’est ce qu’il leur avait dit, surtout ? Très bien, alors. Je te suis... »

Elle s’exécuta lorsqu’Evonis prit la direction de la sortie, sans mot dire. Aileen aurait préféré rester en bas, loin de la compagnie de l’olympien... Maintenant qu’elle savait que tout ce qu’elle avait pu éprouver -et éprouvait encore, du moins en partie- n’étaient que sentiments factices créés par un envoûtement quelconque, elle ne pouvait s’empêcher d’y mêler une colère farouche. Elle n’avait aucune idée de la manière dont elle allait réagir face à lui et à Syi... Il lui faudrait garder son calme, mais, même si elle était loin d’être du genre impulsive, elle n’était pas la plus douée en la matière. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’Elen sache quoi faire pour la calmer si la situation dégénérait...
Tout en parcourant les couloirs de la Tanière en sens inverse, elle sentit revenir cet étrange sentiment de vide profond, progressivement. Comme si elle avait un trou béant à la place du cœur...

Elle s’arrêta sans un bruit derrière le groupe, près de la sépulture de la reine No’Irin. Tous avaient les yeux fixés sur l’endroit, Aileen y comprit. Elle parcouru du regard les dizaines, les centaines d’offrandes et d’hommages à la défunte, se sentant un peu idiote... Elle avait les mains vides, même pas une petite idée d’une quelconque prière à faire.
Peu importe, les mots lui viendraient peut être plus tard. Pour l’instant, elle avait une autre sorte d’épreuve à surmonter.
En quelque pas elle fut de nouveau aux côtés des invités d’Elen.

« -Je... Veuillez m’excuser pour mon absence... »

Le ton était poli. Sans plus. Que pouvait-elle dire de plus.. ? « excusez moi de ne pas avoir envie de supporter la présence de certains indésirables nobliaux imbus d’eux mêmes et préférant passer leur vie puis pourrir à jamais dans leur luxe ostentatoire» ? Non. Pourtant elle en avait envie.
Elle regarda Syi un instant... Qu’est ce qu’elle pouvait bien penser ? Est ce qu’elle lui en voulait ? Aileen n’avait pas envie de se fâcher avec elle, ou pire, de perdre son amitié. Toutes deux avaient beau être issues de deux mondes différents, elles avaient partagé beaucoup de choses.
Il fallait qu’elle lui parle, pour lui expliquer. Quoi qu’Elen ait pu dire, ça n’était pas lui qui avait vécu ’tout ça’. Peut être que la juge comprendrait... Peut être pas...

Elen s’étonna de voir Isa Cestia s’effacer dès que le Prince lui eut adressé la parole. Elle était si loin de chez elle, en terre ennemie, et elle continuait à vouer ce culte aveugle aux notables. Qu’avaient-ils de plus qu’elle, si ce n’est des bâtisses aux murs épais qui leur servaient d’oeillères pour se cacher des soucis de la pupulation ? La conversation précédente avait largement échauffé l’esprit du Chaman. Les Elfes des Lunes avaient conservé les us et les coutumes des premiers Elfes, contrairement aux Nobles, qui avaient tout balayé d’un seul geste pour se bâtir des palais. La noblesse de Na’Helli n’avait de noble que les murs...

Lorsque Isa eut énoncé ses voeux, aussi touchants qu’il était possible de l’air, et probablement bien plus que ne le seraient ceux du Prince, le Chaman adressa à la jeune femme un sourire rassurant, puisqu’elle semblait chercher son approbation. Etait-ce satisfaisant ? Pour lui, certainement. Mais pour la Reine... Nul ne saurait dire si les mots choisis par l’Olympienne avaient touché No’irin à part la Reine elle-même...

Le Chaman se plaça en retrait, attendant que Anastase fasse son office. Il se remémora les derniers mots qu’il avait prononcé pour la Reine...

Bientôt... murmura-t-il, pour lui-même, son visage s’assombrissant...