Un passé encombrant | |
Topic visité 431 fois Dernière réponse le 23/02/2012 à 14:42 |
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Précédemment
Le Chaman s’éveilla, baignant dans les agréables couvertures, son épouse encore tout contre lui. Avec une bâtisse en souterrain comme la Tanière, les rayons iridescents des Titans n’aidaient jamais les habitants à s’éveiller. Ils devaient compter sur leur clepsydre interne. Et celle du Chaman lui donnait bien souvent l’opportunité de se relever aux aurores. Cependant, et il en fut le premier étonné, il semblait avoir plus dormi qu’à l’accoutumée. Et bien mieux, surtout. Les cauchemars qui habitaient son sommeil ces dernières saisons s’étaient étrangement maintenus à distance, pour une raison qui lui échappait. Il demeura allongé, dans cet état semi-cotoneux qui précède l’éveil complet, si proche de l’état de transe qu’il affectionnait. Puis il décida de se lever. Il écarta Nil avec précaution pour ne pas la réveiller puis quitta le lit conjugal. Il se dirigea d’un pas lent vers les bains du premier sans oublier d’apporter avec lui des vêtements propres et frais. L’eau qui circulait sous les pierres des cheminées des cuisines dispensaient leur douce chaleur. Ceux qui avaient pensé le complexe souterrain des Loups n’avaient rien laissé au hasard. Tout avait été fait pour que la Meute dispose d’un nid douillet, au creux de la forêt, sûr et confortable. Cela n’empêchait pas les Loups se courir le monde et d’apprécier autant la couverture des étoiles que celle de leur chêne sacré. Il se baigna, se lava, se frictionna vigoureusement, comme pour laver son âme d’un péché qu’il croyait commettre. Bien sûr, Luwö n’avait jamais énoncé de lois particulières qui l’auraient rendu, de fait, coupable. Et pourtant, ces rêveries blâmables, elles l’assaillaient bien ! - Bon sang, Elen, à quoi penses-tu ? Tu sais très bien que tout ça n’est pas... - Mais tu le voudrais. l’interrompit une voix familière, le faisant sursauter. N’est-ce pas ? Tout droit émergé de la brume de vapeur qui baignait la pièce, la silhouette familière et dénudée de son mentor lui faisait face, dans l’eau des bains. L’autre affichait un air tout à fait serein, son regard planté dans celui de son apprenti. Et cela avait particulièrement le don d’énerver Elen. - Qu’est-ce que tu fais là, encore, toi ? - Ne te fais pas plus idiot que tu ne l’es déjà. Tu sais très bien pourquoi je suis là. - Pour me dispenser une autre de tes leçons miraculeuses ? Kowü fit un geste évasif, lent et fluide, comme à l'accoutumée, tout en fixant le plafond vaporeux. - Peut-être. C’est à toi de voir. Mais je te crois assez perspicace pour savoir ce que tu as à faire. - Ah oui ? Et qu’est-ce que tu en sais, toi ? Tu ne devrais même pas être là ! énonça le Chaman, se prenant la tête entre ses mains. - Et pourtant... Je le suis. Tout autant que tes sentiments. - Mais qu’est-ce que tu me veux, bordel ? se désespéra Elen. - Moi ? Mais la même chose que toi, bien évidemment. - Cesse de me hanter ! hurla le Chaman, relevant la tête, pour s’apercevoir avec dépit que le brouillard remplaçait désormais son étrange et défunt interlocuteur. Elen se jeta en avant, pour tenter de le rattraper. La pièce étant vide, il poursuivit son investigation au pas de course jusqu’au couloir, dans lequel il s’élança, nu comme un ver. Ce ne fut que lorsqu’il croisa un Loup qui détourna immédiatement le regard, et une Louve qui se figea, rosissant instantanément que le Chaman stoppa net, s’empourpra à son tour et cacha sa nudité du mieux qu’il pouvait. Il ne prit même pas le temps de bafouiller des excuses, bien trop perturbé pour se lancer dans de vaines explications. Il retourna dans le bain chaud, s’absorbant dans ses pensées; Mais qu’avait donc voulu dire l’autre ? Que voulait-il qu’il assume, au juste ? Pourquoi tout devait-il être aussi compliqué ? Il savait à qui il devait s’adresser... Il termina de se laver, se hâta de s’habiller puis il se rendit d’un pas rapide en cuisine, farfouillant. Il grignota quelques fruits, puis se mit à l’ouvrage. Il prépara des oeufs brouillés, une bouillie de gruau, en plaça une partie sur assiette qu’il déposa sur un plateau. Il ajouta quelques fruits, prépara deux bouilloires d’infusion, l’une venant rejoindre le reste de ce qu’il devait transporter. Il se rendit ensuite aussi vite qu’il le put à l’étage de la chambre de son épouse. Il déposa un baiser sur sa joue, pour l’éveiller. Elle remua, grognant, tandis qu’il murmurait : - Le petit déjeuner est servi, Nil... J’ai... J’ai du travail. Je te rejoins plus tard. Un mensonge par omission en était-il un ? Probablement. Mais il s’en fichait éperdument. De retour en cuisine, il prépara immédiatement un second plateau avant de se diriger vers la chambre d’Isa. Il frappa, doucement, pour ne pas effrayer la jeune femme, disant aussi bas que possible : - Isa... C’est moi, Elen... Si tu es réveillée, je t’apporte le petit déjeuner... Elen, EdL
Chaman du clan du Loup au conseil des Lunes Responsable de l'Éclat des Lunes ♥ |
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Si la conscience de la jeune Olympienne n’avait pas été aux franges de l’éveil, jamais elle n’aurait entendu le Chaman. Pourtant les instincts s’aiguisaient lorsque l’on passait sa vie plus souvent en bivouac que dans des demeures confortables. Il y avait toutes sortes de bruits qui agitaient le sommeil : un camarade qui se tournait lourdement, un animal qui furetait près de gamelles oubliées si le feu n’était plus que braises rares, des brindilles qui craquaient sous les pas des sentinelles...
Il faisait nuit noire dans la chambre et Isa n’eut aucun repère. Si elle reconnut la voix, elle ne put empêcher son coeur de s’emballer et se redressa vivement. Où était-elle ? Depuis quand ? Ses yeux grands ouverts n’arrivaient pas à percer l’obscurité dense. Elle sentait juste les parures douillettes du lit et le poids rassurant des couvertures... Tout va bien, calme-toi... Lui souffla une petite voix. Ton bourdon. - Ahembris ! Lança -t-elle. Un halo argenté nimba le croissant de lune qui terminait le bâton de la magicienne. Il était à côté, appuyé contre un fauteuil où la plupart de ses vêtements se trouvaient. Elle devinait dans la faible clarté les murs de l’angle largement tapissés et, à sa portée, la table de chevet. Elle bondit hors du lit, grimaça au contact du parquet frais sous la plante des pieds et attrapa son manteau qu’elle jeta sur ses épaules. Tandis qu’elle bataillait avec un briquet pour pouvoir ensuite allumer la lampe à huile, elle dit un peu fort pour son visiteur : - Oui Elen, je... “Suis réveillée” ? Cela aurait été une affirmation audacieuse ! Tu peux entrer ! Ses derniers souvenirs remontaient à leur campement dans le désert, alors qu’ils étaient sur le chemin du retour vers la Forêt des Cendres... Cela faisait-il longtemps ? Etaient-ils déjà arrivés à la Tanière ? La lumière se répandit lentement et dévoila la chambre, son mobilier chaud, cossu et son confort plus que respectable. Le regard d’Isa s’arrêta sur la porte. Elle y arriva en quelques pas, juchée sur la pointe des pieds pour leur épargner le froid. Alors qu’elle tournait la poignée elle aperçut la clef posée sur une commode à côté; ce n’était même pas verrouillé... La petite voix se mit à imiter sa grand-mère avec ses inflexions aigrelettes : Tu deviens imprudente ma fille, te crois-tu au Havre pour laisser ta porte bée à tous les curieux ? Mais elle l’ignora, déjà assez occupée à accueillir le Chaman qui attendait. Elle ouvrit largement la porte d’une main tandis que l’autre essayait de remettre un peu d’ordre dans sa coiffure... Hélas cela ne suffit pas. - Grands Dieux, Elen, je suis navrée ! Est-ce qu’il est tard ? Si elle avait dormi jusqu’à une heure indue, peut-être s’était-il inquiété ? C’était de toute façon très impoli envers ses hôtes de traîner comme ça au lit... Le Chaman sourit de la voir ainsi au naturel. Devant elle, quelque chose le forçait à sourire. Quelque chose de profondément enfoui. Cependant, la tenue légère de l’Olympienne éveilla quelques rougeurs sur ses joues aux reflets habituellement bleutés. - Oh non, penses-tu... Les Titans sont déjà levés c’est certain, mais ils sont loin de leur zénith. Je voulais juste m’assurer que tout allait bien pour toi. Je sais qu’il est difficile, parfois, de dormir en un lieu inconnu. Et j’en profite pour t’apporter de quoi te restaurer ! - C’est gentil Elen, fit-elle soulagée, mais il ne fallait pas te déranger ! Elle lança un regard dans le couloir pour se faire une idée de l’endroit où elle était puis elle ménagea un passage au Loup. L’air frais qui circulait hors de la chambre passa sur ses jambes nues. - Entre ! Il fait meilleur ici ! Elle se demanda fugacement comment c’était possible car aucun feu ne brûlait dans la cheminée de la chambre. Tu as bien dormi ? - Tu... Tu es sûre ? Ce n’est peut-être pas le moment de me laisser entrer. Je veux dire... Je ne voudrais surtout pas te déranger... Isa qui faisait demi-tour pour vite ranger quelques affaires et rendre la pièce plus présentable se figea puis se retourna vers Elen, soudain embarassée. La précipitation lui avait fait oublié sa tenue guère apprêtée. Elle revint vers Elen pour lui prendre le plateau, l’air confus. Evidemment qu’il ne pouvait pas rester, quelle sotte ! - Oui, excuse-moi... Je viens juste de me réveiller. - Oh... Non, c’est moi. Je peux repasser plus tard, tu sais, si tu préfères ? Je te laisse ça. dit-il, désignant du regard le support que la jeune femme prit. Et je repasse dès que tu es fin prête ! Oh ! Et à ce propos ! Veux-tu que je te fasse amener un bain d’eau chaude ? - C’est inutile, Elen, je me débrouillerai, il y a tout ce qu’il faut ici. Fit-elle en se souvenant de la coiffeuse qu’elle avait vu dans un coin de la pièce. A plus tard alors ? Elle regarda son plateau avec une petite moue. Elle aurait préféré partager la collation, comme ils l’avaient si souvent fait. - Tout va bien, tu es sûre ? demanda-t-il, ayant surpris la mimique déçue. - Tu as déjà déjeuné ? - Oui. Mais je peux rester avec toi, si tu veux. fit-il, lorgnant dans le couloir, pour vérifier que personne ne le surprendrait à entrer dans la chambre de l’invitée. Elle lui sourit. Cette solution lui plaisait bien plus qu’un repas en solitaire et elle l’invita à la suivre. Elle posa le plateau sur le lit et enleva ses affaires du fauteuil afin de libérer la place pour le Loup. - Voilà ! Fit-elle en s’asseyant sur les couvertures. Dis-moi, c’est copieux ! On peut tenir un siège avec tout ça ! |
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Le Chaman prit place, évitant soigneusement de regarder la jeune femme trop bas, de peur que d’autres rougeurs n’apparaissent sur son visage. Il se bornait à la fixer dans les yeux, ou de regarder sa bouche lorsqu’elle parlait.
- C’est que... Je ne sais pas exactement à quoi tu es habituée. Mais chez nous nous mangeons copieusement matin et soir, et peu voire pas du tout à la mi-journée, expliqua le Loup. Tu n’es pas obligée de finir, tu sais ? Mais mange pendant que c’est chaud. Ne te préoccupe pas de moi. - Je vois, alors va pour le régime Loup ! Elle s’aperçut qu’elle avait faim maintenant qu’elle était tout à fait réveillée. Elle attaqua d’abord les oeufs brouillés et fit un sort à la moitié de la part de gruau avant de commencer à boire l’infusion encore très chaude. Elen fut heureux de la voir manger avec un tel entrain. Non seulement en tant que chef improvisé, mais aussi en tant que... Que quoi au juste ? Ancien esclave ? Compagnon de route ? Ami ? Aucun de ces termes ne semblait correspondre à la situation, et pourtant, il en aurait mis sa main à couper, sa relation avec la jeune femme lui semblait essentielle. Tandis qu’Isa se restaurait, quelques indices firent jour dans son esprit : Elen ne semblait pas coutumier de lui amener le petit déjeuner, elle en déduisit qu’ils ne devaient pas être arrivés depuis longtemps. C’est alors qu’elle réalisa qu’elle n’avait pas lu ses notes. Son regard fouilla rapidement autour d’elle : elle rangeait souvent les feuilles dans sa besace car il était rare qu’elle dispose d’un bureau mais... Non, elles étaient là, juste à sa portée sur la table de chevet, bien en évidence sous le nez d’Elen... Elle pâlit et sa cuillère resta en suspend de longues secondes quelque part entre le bol et sa bouche. Le Loup sentit bien que quelque chose la mettait mal à l’aise. Mais il ne savait pas quoi, précisément. Il fallait qu’il l’aide à se détendre, à porter la conversation sur quelque chose de léger, d’anodin : - As tu bien dormi ? Tout allait comme tu voulais ? - Oui j’ai dormi... Comme un loir ! Fit-elle en se reprenant. Et toi ? Content de retrouver tes pénates ? J’imagine que des tonnes de travail t’attendent maintenant que tu es rentré. - Pour tout te dire, je ne sais absolument pas en quoi consiste le travail d’un Chaman. Ou plutôt, en quoi c’est différent de celui d’un Intendant... Il lorgna sur les pages que la jeune femme avait fixées, sûrement bien malgré elle. Il aurait bien voulu lui demander de quoi il s’agissait mais il n’osait pas. Gêner la jeune femme alors qu’elle ne se souvenait peut-être pas des instants qu’ils avaient partagés la veille, ainsi qu’elle le lui avait suggéré, ne donnerait rien de bon. - Le déjeuner t’a-t-il plu ? As tu besoin d’autre chose ? - C’était parfait et bien chaud. Je garde les fruits pour plus tard, il faudrait être un lestrygon pour manger tout ça ! Elle réfléchit aux propos d’Elen. Davantage de cérémonies ? Ou de conseils spirituels à ton clan ? En tout cas c’est ce à quoi s’occupent nos prêtres à Lardanium... Que faisaient les Chamans précédents ? Elle espérait qu’Elen ne lui ait pas déjà raconté ce genre de choses où il pourrait prendre mal qu’elle n’ait pas retenu... - Oh... Tu sais, à part mon mentor et Lytharion, je n’en ai guère connus. Et Kowü n’a pas eu cette fonction très longtemps. ajouta-t-il tandis qu’une grimace trahissait sa mésaventure de la matinée. Je... Isa... Tu... Tu te souviens de ce dont nous avons parlé hier ? Elle allait répondre à Elen qu’il ne lui ferait pas croire qu’il était totalement ignorant des fondements de ses rites mais la suite lui coupa la voix et son coeur se mit à battre un peu plus fort. - A propos de quoi exactement ? Finit-elle par murmurer. Il n’était pas toujours facile d’esquiver les questions dangereuses mais demander un peu plus de précisions ne pouvait que l’y aider. C’est qu’on pouvait en dire des choses en une journée ! - A propos de... A propos de toi. Ce qu’il craignait arrivait : visiblement, elle n’avait aucun souvenir de leur échange. Et son journal ? L’écrivait-elle tous les jours ? Ou son exécrable grand-mère lui servait-elle de garde-fou ? Elen, EdL
Chaman du clan du Loup au conseil des Lunes Responsable de l'Éclat des Lunes ♥ |
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- De moi ? Qu’avait-elle fait encore ?! Ses yeux se portèrent bien malgré elle sur les parchemins. Il ne faut pas tenir compte de tout ce que je dis... Tu sais les femmes ! Et que faisaient Lytharion et Kowü alors ?
Elle tentait une diversion mais sa voix s’érailla. Comme il était pénible de mentir à Elen ! - Isa... Tu... C’est à propos de toi. Et de moi. S’entêta-t-il en éludant la dernière question. Il connaissait bien ces petits jeux, ça ne marcherait pas avec lui. Son regard se posa sans ambiguïté sur le journal de l’Olympienne. Elle ne pourrait pas faire semblant de l’ignorer. La réaction fut immédiate : les lèvres de la jeune femme se pincèrent et un voile douloureux passa dans son regard. - Non... Ce n’est pas possible... Je n’ai pas pu... Dit-elle en dévisageant le Chaman, incrédule. - Tout va bien, Isa... Tout ira bien, je te le promets. assura-t-il son regard droit dans le sien; toute son attitude ne montrait que sincérité et douceur. - Je ne sais pas comment tout cela fonctionne. Mais ce que je sais, c’est que tu as dû te laisser une trace de ce que nous avons vécu, hier. Voilà ce que je vais faire : je vais te raconter quelque chose que je n’ai raconté à personne. Mais je... Peut-être que tu... Peut être devrais-tu lire ton journal. Celui que j’avais aperçu à Zagnadar. Au moindre signe de panique de la jeune femme, il prendrait l’initiative : il lui raconterait son histoire avant de risquer de la perdre en l’effrayant plus que nécessaire. Il peinait à imaginer ce qu’elle pouvait ressentir en ce moment. Et il compatissait au trouble qu’il lui causait. Mais il voulait qu’elle soit en possession de toutes les informations avant de lui raconter... Quant à Isa, elle resta un long moment paralysée par la nouvelle et ses implications. Puis lentement, elle ôta le plateau de ses genoux pour le poser sur le lit et tendit une main tremblante vers la pile de feuillets. - Tout est là... Dit-elle d’une voix cassée. La première page était celle de la veille. Elle la parcourut, abasourdie par ce qu’elle y apprenait. Devait-elle la faire lire au Loup ? Son esprit ne savait plus comment réagir. Non. Elle y parlait de lui de façon trop intime... Mais après tout... En étaient-ils à se faire encore ce genre de cachotteries ? Tout semblait à la fois si futile... Et si important. Elle se retrouva à lui tendre les feuilles d’un geste maladroit. Le Chaman se leva et prit les feuillets tendus pour les déposer sur le lit avant de se saisir des mains de la jeune femme. - Isa, ta mémoire t’appartient. Elle t’échappe, tu me l’as dit, mais elle n’est qu’à toi. Il me suffit que tu saches que je te soutiendrai. Toujours. Elle hocha la tête. Ils avaient dû avoir la même discussion la veille. Elle accepta donc sans combattre davantage. Les jeux étaient faits, de toute façon. - Ce n’est pas grave Elen. Je vis comme ça depuis des années. J’ai toujours pu faire illusion. Jusqu’à maintenant. - Si cela peut te rassurer, c’est toi qui me l’as avoué. poursuivit-il en s’installant à sa gauche pour l’entourer de ses bras, Je n’ai rien découvert. Tu es... Une excellente actrice. Elle esquissa un sourire amer mais se blottir dans les bras d’Elen l’aidait à se remettre de ses émotions. - C’est écrit. Je suis la seule responsable. C’est compliqué sans ma grand-mère... Un soupir résigné lui échappa. Si je peux juste te demander... De ne le dire à personne. Le reste, tu n’as pas à le supporter. Tu finirais par m’en vouloir, je le sais. - Justement, Isa. Tu m’as fait suffisamment confiance. Et tu as eu ce courage. Et la confiance que tu me portes, elle est réciproque. Je... Je dois t’avouer quelque chose. Quelque chose que personne d’autre ne sait. - Quoi donc ? Il fixa un instant le sol, déglutissant avec peine. Comment le lui annoncer ? Comment lui expliquer ? Il lui tendit sa main droite, celle qui portait encore des bandages sur l’annulaire et le majeur pour les immobiliser. - Ce soir là... Tu t’en souviens ? hasarda-t-il. - Seulement ce que j’ai écrit... Aileen et moi t’avions entendu, dans les dunes. Ensuite nous avions discuté. De ta part de responsabilités dans ce qui s’était passé, de vos places dans les clans... C’est bien ça ? - Oui, c’est exact. Isa... Il hésita. Après tout, une telle annonce à quelqu’un dont on possède la confiance pouvait l’amener à changer d’avis, voire pire. Si elle venait à se méfier de lui, il pouvait la perdre. - Je crois bien que je perds la raison. Les yeux d’Isa s’écarquillèrent et retrouvèrent cette couleur de miel qui disparaissait pour ce brun sombre et terne lorsque la jeune femme se repliait sur elle-même. - Mais... Non voyons ! Pourquoi dis-tu cela ? Après ce que tu as enduré, tu peux avoir des moments de doute ou de colère. Ce n’est pas pour ça que tu es fou ! - Je... J’ai des hallucinations. J’ai vu Kowü ce soir-là. Enfin... J’ai cru le voir. - C’est la fatigue, Elen. Je suis sûre que tu n’as pas à t’inquiéter. Tu penses à trop de choses, tout le temps ! Tu devrais... Faire ce qui te plaît quelques jours pour te changer les idées. - Je l’ai revu ce matin. compléta-t-il sombrement. Isa fronça les sourcils. Ici dans la Tanière, au milieu des siens, Elen aurait dû se sentir mieux, supposait-elle. Mais si elle persistait à réfuter les affirmations d’Elen, il croirait qu’il avait eu tort de lui en parler. - Et... A-t-il dit quelque chose ? |
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Il hocha la tête, fixant Isa droit dans les yeux, visiblement aussi mal à l’aise qu’il était possible de l’être. Il se sentait nu devant elle, alors qu’en vérité il portait bien plus de vêtements que l’Olympienne en cet instant ! Il craignait tellement qu’elle le juge...
- T’a-t-il fait des reproches ? Demanda-t-elle doucement, se rappelant qu’Elen avait hurlé dans le désert. - Je... Je ne sais pas... Il cherche à... Il me conseille de... Il s’interrompit, se prenant la tête entre les mains. Il est mort, Isa. Il ne peut pas être là. - Elen... C’est peut-être un lien entre Chamans... Ou... Ton Totem qui utilise ce moyen pour... Enfin... Tu vois ? Elle ne connaissait pas assez la culture des Elfes des Lunes pour trop s’avancer mais des âmes désincarnées qui revenaient des Enfers, après tout, ils en avaient vu il n’y avait pas si longtemps... Pouvait-il y avoir des choses similaires avec le Monde des Esprits ? Elle prit doucement les mains d’Elen pour lui dégager le visage et essaya de capter son regard. - Ce n’est pas un ennemi que tu vois. Ecoute-le, tu comprendras peut-être plus tard pourquoi il revient. Ou... Pourquoi tu crois qu’il revient... Mais cela n’a rien à voir avec Elle. - Non, mais c’est peut-être bien la punition dont je t’ai parlée. dit-il, avant de se reprendre, se remémorant qu’elle avait probablement oublié cette partie de la conversation aussi : Celle des Dieux pour avoir osé frayer avec elle. - Tu n’es coupable de rien. Et quand bien même les Dieux appliqueraient une vengeance aveugle, leurs punitions sont le plus souvent expéditives. Pourquoi te tortureraient-ils ainsi ? Que te dit Kowü qui te fait croire qu’il cherche à te perdre ? C’était bien là le coeur du problème. Aucun des conseils de son mentor n’étaient insensés. Tout au plus, le bon sens exaspérant de ses paroles poussait le Chaman dans ses derniers retranchements. Il n’acceptait pas que celui qui l’avait abandonné ait raison et cela le forçait à s’opposer à lui bec et ongles par un réflexe presque viscéral, quitte à se fourvoyer. Le Loup fixa intensément le sol, ses mains se crispant dans celles de l’Olympienne. - Il... Il... Il me demande d’être honnête avec moi-même. - C’est plutôt un bon conseil, Elen. Lui dit-elle, un fin sourire se dessinant sur les lèvres. - Peut-être. Mais à présent tu sais. Et si ça arrive encore... Tu le verras. - D’accord. Lui concéda-t-elle d’une voix douce. Je ferai attention. Mais pourquoi ne l’as-tu pas dit à Nil’nelia ? Ce serait plus sûr. Et j’imagine qu’elle préférerait être au courant. La femme du Chaman serait bien plus à même de le surveiller qu’elle. Avait-il peur qu’elle le juge ? Qu’elle le repousse ? Qu’elle prenne tout ceci comme autant d’élucubrations sans importance ? - Parce que c’est... ”... En toi que j’ai confiance.” Il se tut, incapable de lui répondre. Alors c’était ça, cette sensation si étrange. Et pourtant, après ce qu’elle lui avait révélé la veille au soir, pouvait-il se permettre de... Non. Pas dans sa situation actuelle, certainement pas. Il devrait inlassablement lui expliquer, chaque matin que Luwö ferait. Il connaissait ses options : soit clarifier les choses, soit réprimer cette joie intense et colorée qu’elle lui inspirait. ”... Embarrassant ?” Isa pensa que c’était simplement l’orgueil compréhensible d’un mari qui ne voulait pas paraître diminué devant son épouse. Elle renonça à son idée et l’encouragea à se projeter dans l’avenir. - Ca va s’arranger. Tu lui en parleras plus tard, comme d’un mauvais souvenir. Et vous passerez à autre chose. - Tout comme quand nous t’aurons libérée de ta malédiction. répondit-il du tac au tac. Sans laisser à Isa le temps de protester, il eut un geste qu’il aurait qualifié de follement audacieux en d’autres circonstances : il écarta lentement une des mèches de l’Olympienne, tombée sur son visage et plongea son regard dans le sien avec autant de doutes que de volonté. La jeune femme ne put le soutenir longtemps. L’air lui manqua et elle ferma les yeux quelques secondes. Les lignes qu’elle avait lues sur le dernier parchemin lui interdisait d’extrapoler. Et pourtant, comment ne pas se laisser gagner par l’illusion... - Ne dis pas ça, cela me fait peur... Lui glissa-t-elle pour cacher son trouble. Et c’était vrai, quoi qu’il en soit. La croyante qu’elle était ne pouvait que craindre l’ombre divine omnipotente. - Je ne veux pas t’effrayer... murmura-t-il tout bas sans cesser de la fixer. Jamais. - Non ce n’est pas toi qui... Bien au contraire... De nouveau elle se sentait confuse. S’il ne partait pas maintenant, les Dieux seuls savaient quelle catastrophe elle provoquerait encore. Pourquoi perdait-elle ainsi tout sens commun lorsqu’il était près d’elle ? Je ferais mieux de me préparer. Les derniers mots de l’Olympienne éveillèrent Elen du songe dans lequel il évoluait depuis quelques minutes, hypnotisé par ses prunelles ambrées, par cette innocence et cette sympathie qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, par ce trouble étrange qu’il sentait entre eux et par ce trait d’union aussi indéfinissable qu’inébranlable qu’il devinait. Elle avait parfaitement raison. Quelle ironie. Elle ne possédait pas toutes les cartes et pourtant elle faisait preuve de tellement plus de clairvoyance que lui. S’il sortait, ses pensées allaient tournoyer comme des fauves en cage, mais s’il restait et se laissait transporter vers cet horizon nouveau... - Je vais te laisser alors... Rapporter tout ça en cuisine. Et... énuméra-t-il en se levant pour refouler à grand peine cette envie de demeurer auprès d’elle. Il récupéra le plateau puis il se dirigea vers la porte aussi rapidement qu’il parvint à se l’autoriser. Isa le suivit du regard et frissonna - la chambre lui paraissait soudain beaucoup plus froide. - Je te vois plus tard ? Dit-il lorsque sa main tourna la poignée. - Bien sûr Elen. Je vais faire vite. Et si je peux être utile, tu me le diras... Je ne vais pas jouer les princesses tous les jours. Fit-elle avec une pointe d’humour. - Alors à tout de suite, lâcha-t-il avec un sourire timide avant de s’éclipser, refermant soigneusement la porte derrière lui. Elen, EdL
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