Bien que la brume ait finalement déserté la Forêt des Cendres, la végétation ne se remettait que maintenant du retard qu’elle avait pris, alanguie un long moment dans les volutes du Seigneur élémentaire. Mais l’approche du Souffle Infernal fit vite grimper les températures et, à la Tanière, l’on se retrouva submergé par les récoltes qui arrivaient toutes en même temps. De fait, les fastidieuses journées de travail repoussèrent d’autant les préparatifs du mariage du Chaman et de sa louve olympienne.

Pourtant les fiancés étaient bien décidés cette fois à ne plus atermoyer. Évidemment les contraintes des rituels d’Isa ne laissaient que peu de possibilités mais cette fois la date était irrémédiablement fixée. Dans moins d’une saison, le couple serait marié.

Il y avait plusieurs détails à régler, comme l’envoi des faire-part, quelques préparatifs pour les cérémonies qui s’étaleraient sur deux jours et bien sûr, l’incontournable robe !
La pauvre Ninah, une des Louves les plus douées en couture de l’atelier de la Tanière, avait failli faire une crise de nerfs lorsqu’Isa l’avait mise en garde sur sa grossesse. Il faudrait peut-être prévoir tout de suite quelques mesures de plus pour ne pas avoir à retoucher la robe au dernier moment... Les tissus et les voiles étaient choisis. On avait dessiné les patrons et pensé aux fleurs décoratives qui viendraient donner quelques reliefs colorés. Les teintes allaient d’un vert pâle à celui d’une pomme acidulée et contrastaient agréablement avec la chevelure auburn de l’Olympienne. Mais c’était de plus près que l’accord devenait parfait, avec ses yeux brillants couleur de miel.

- Pourvu qu’il ne te confonde pas ! S’était exclamée Ninah, en une boutade un peu maladroite qu’elle avait dû ensuite expliquer.

C’est ainsi qu’Isa apprit que la robe de Nil’nelia avait été dans les mêmes coloris et confectionnée par une couturière très réputée de la capitale elfique. Isa en déduisit que la robe devait être une petite merveille, portée magnifiquement par l’Elfe qui était une très jolie femme. Sur cette idée qui venait de doucher l’enthousiasme d’Isa quant à sa future tenue, Ninah s’était empressée de dire avec une pointe de chauvinisme que les Nahelliens pouvaient toujours essayer d’imiter le style loup, ils étaient encore loin du compte ! Qu’elle prenait même comme un défi personnel de faire mieux que ces poseurs de la capitale.

- Et puis il n’y aura que les esprits chagrins pour commérer sur une quelconque comparaison. Les inviteras-tu ? Bien sûr que non ! Alors oublie ça et aide-moi plutôt avec ce voile ! Fit Ninah en tendant un lé à Isa.

Les deux femmes passèrent de longues heures sur l’ouvrage, l’Olympienne glanant au passage, comme elle aimait à le faire, quelques notions de confection et de broderie. Au Havre évidemment, la couture ne lui était pas totalement inconnue : c’est qu’elle en avait raccommodées quelques paires, d’affaires ! Mais jamais elle n’avait eu l’occasion de créer une pièce dans son ensemble.
C’était reposant même si cela demandait de la concentration et de la minutie. On oubliait les petits tracas et les milles et unes pensées cessaient de virevolter dans la tête puis l’on relevait le nez et l’on pouvait voir le travail qui avait bien progressé. Calme et gratifiante, l’activité était loin de la besogne répétitive qu’elle avait connue en tant que servante. La future mariée décida alors qu’elle ferait elle-même le trousseau de son enfant à venir. De toute façon dans les dernières saisons, il ferait si froid qu’elle ne pourrait certainement plus guère courir la forêt le ventre gros. Cette occupation, si Ninah voulait bien continuer à la lui enseigner, serait tout à fait adéquate.

- Allez file, je n’ai plus besoin de toi pour aujourd’hui, on a bien travaillé. Mais demain je t’attends après le zénith des Titans, on mettra en place les premiers pans.
- Oui M’dame, répondit Isa en riant. Est-ce que j’ai le droit d’amener ma Prima Luwä pour qu’elle jette un coup d’oeil ?

Pour toute réponse, Ninah leva les yeux au ciel, faussement agacée.

Au soir, lorsqu’Elen et elle se retrouvèrent, Isa put lui annoncer que sa robe était en bonne voie.

- Demain je proposerai à Aileen d’aller la voir, elle me donnera son avis. Mais promets-moi de ne rien lui demander, je veux que ça reste une surprise pour toi !

La jeune femme connaissait suffisamment sa Prima Luwä pour deviner qu’elle ne résisterait pas longtemps à un interrogatoire du Chaman. Il fallait mettre le holà en amont pour être tranquille ! Le Loup embrassa tendrement son épouse, glissant une main sur son ventre.

- Promis, ne lele. Je sais que c’est important pour toi de conserver une part de mystère vestimentaire avant la cérémonie ! Heureusement que tu n’as pas la même politique sur le reste !

Il voulait entendre par là qu’il était de coutume chez certains Nobles, à Na’Helli notamment, de cacher leur fille à leur futur gendre pendant des saisons. Sans compter ces histoires de virginité... Elen n’avait rien d’un coureur, mais il ne supportait pas la rigueur en amour. Lorsqu’un couple décidait de s’aimer, il devait le faire sans limite, pour quelques jours comme pour des siècles. Et c’est ainsi qu’il avait engagé les choses avec Isa, espérant bien pouvoir profiter de sa présence pour un bon millénaire. Du moins si sa stupide manoeuvre avait pu fonctionner...

- J’aurais été une toute jeune fille destinée à obéir aux ordres d’épousailles de son père, il n’en aurait pas été de même ! Mais bon, disons que dans notre cas, il y a prescription. Fit-elle avec un regard espiègle à son fiancé.

Le Loup grimaça immédiatement à la mention des us et coutumes de la Noblesse, quelque soit la cité d’origine de cette dernière. Il enlaça sa belle, s'enivrant de sa présence et de la délicate odeur de ses cheveux, encore parfumés par les bains qu’il lui faisait fréquemment préparer.

- Hum... Voyons... Tu es une toute jeune fille promise à un chef tribal... Fit-il remarquer, singeant les mots qu’auraient pu utiliser les Nobles sur un ton amusé. Et qui plus est, tu t’es laissée engrosser par ce sauvage ! Tu les désespérerais !
- Oui... Probablement. Son regard s’assombrit. Ce serait sûrement ces mots exacts qu’ils prononceraient et bien que cela n’ait plus aucune importance, cela lui restait désagréable à entendre. Elle préféra changer de sujet :On va s’occuper des faire-part aussi demain, avec Aileen. Tu me laisseras la liste de tes invités ?

La jeune femme avait déjà discuté des siens avec Elen. Le mariage en lui-même n’intéresserait pas forcément tous les Olympiens présents dans les environs de la Tanière mais une partie des cérémonies consistait en des offrandes aux Dieux et ils aimeraient peut-être y participer : cela faisait si longtemps qu’ils n’avaient pu prier en communauté, loin de Lardanium...

- Tu ne veux pas que je t’aides, Nelith ? C’est aussi un peu mon mariage, tu sais ? Proposa-t-il, enjoué.
- Mais oui je sais ! Mais nous, nous ferons des... “Trucs de filles” Comme aurait dit la Cerf, et toi et bien euh... Je ne sais pas, tu n’as pas des occupations ? Prévoir les broches pour le banquet, compter le nombre de tréteaux... C’est viril ça, les tréteaux... Essaya-t-elle de dire le plus sérieusement du monde. Puis elle se souvint d’un élément important : Oh si ! Si tu veux m’aider, il y a quelque chose à bricoler.
- Tu penses bien que tout ça c’est déjà fait. La table sera magnifique ! J’irai chasser trois jours avant le banquet, et je compte bien nous ramener un ours ! Mais en attendant, pour les invités, je peux t’aider... Il lui massa un tantinet les épaules, se glissant derrière elle. Et je peux aussi t’aider à décompresser !
- Ah oui, c’est sûr que comme ça, on va aller plus vite pour les faire-part ! Se moqua-t-elle en se tortillant pour essayer d’esquiver la manoeuvre de son fiancé qui la tentait bien pourtant. Elle lui tendit un parchemin où il y avait déjà les noms d’une demi-douzaine de personnes. Complète ça, plutôt, ce serait impoli de les envoyer au dernier moment !
- Humph... Fit-il en se saisissant du papier, l’air d’abandonner l’idée du massage... Pour l’instant. Il termina la liste pour Isa sur le bureau qu’il se réservait.
- Tu saurais fabriquer un flambeau un peu spécial ? Et... C’était une blague pour l’ours hein ? Fit-elle, ce “détail” ayant fini par l’interpeler.
- Spécial comment ? Demanda-t-il, sans répondre à la deuxième question, moins pressante.
- Hum... Il faudra qu’il puisse brûler deux jours d’affilée. J’en ai besoin pour la cérémonie de la veille du mariage. Je sais comment il se confectionne mais tu trouveras plus facilement que moi ce qu’il faut et tu es quand même plus manuel, il sera mieux réussi si tu t’en occupes. Tu veux bien ?

Ce fameux flambeau devait être allumé dans un braséro lors des offrandes aux Dieux. Et l’on lançait traditionnellement le feu dans l’âtre du nouveau foyer du couple avec ses flammes, le lendemain soir à l’issue du dernier banquet.

- Ça ne devrait pas être long pour la structure, ne lele. Mais il faudra que tu me donnes deux ou trois précisions pour les ornements. Les Dieux aiment bien ça, les décorations. Enfin je suppose.

Comme la cérémonie s’adresserait essentiellement aux Dieux les plus concernés par le mariage, Isa décrivit quelques symboles qu’ils affectionnaient particulièrement : un éclair ou un chêne pour Zeus, un diadème pour Héra, une rose pour Aphrodite et enfin un croissant de lune pour Artémis. Ensuite la partie qui s’embrasait devait être entourée de toile épaisse résinée. Les ingrédients étaient communs mais la préparation demandait un certain soin et de bons dosages pour rester incandescents aussi longtemps.

Le Loup, après avoir rempli la liste de l’Olympienne avec grand soin, esquissa au fusain ce qu’il avait compris des décors du flambeau. Loin d’égaler Dalhia, le Loup se débrouillait tout de même mieux qu’un gamin. Au moins il ne dépassait pas lorsqu’il coloriait ! L’esquisse, ô combien naïve, laissait cependant entrevoir les détails qu’il projetait de sculpter sur l’objet.

- Un peu comme ça ?
- Ce serait magnifique ! Mais ça ne te fait pas trop de travail ? Elle savait Elen particulièrement minutieux, cela lui prendrait des heures et des heures de sculpter ce qu’il avait prévu.
- Ne t’inquiète pas pour ça Isa... Je veux que tu aies ce qu’il y a de plus beau à notre mariage. Pour faire pâlir de jalousie toutes les autres femmes ! Sinon, oui, je suis très sérieux pour l’ours.

Isa allait répondre quelque chose comme “C”est de toi dont elle sont jalouses” mais ce fut tout autre chose qui s’échappa de ses lèvres, tandis qu’elle écarquillait les yeux :

- Mais pourquoi faire ? Ca se mange, un ours ? Et Evonis vient avec toi au moins ! La dernière phrase résonna plus comme une injonction que comme une question.
- J’ai déjà chassé l’ours seul. Mais oui, je serai accompagné. De cinq ou six bons Loups. Une escorte pour le Chaman... Depuis qu’Ithril est morte à la chasse, tu sais ? Enfin bon... Bien sûr que ça se mange. On l’embroche après l’avoir vidé et on le cuit deux jours avec du miel, un peu de bière légère et quelques autres aromates. C’est très bon, tu verras. On ne fait ça que pour les grandes occasions. Il faut juste trouver un beau mâle. On ne chasse pas les femelles. Elles pourraient laisser des orphelins derrière elles. Tu veux nous accompagner ?
- Oui ! Répondit-elle immédiatement, avant qu’Elen ne change d’avis. Il s’agissait maintenant de ne pas avoir l’air d’accepter juste parce qu’elle serait sinon morte d’inquiétude à l’attendre :Je voudrais bien voir ça !
- Tu vois, on aime bien l’ours pour les banquets, mais ce n’est pas évident à chasser. Ils sont très forts. Résistants. Les abattre les fait souffrir car ce n’est pas aussi expéditif que pour d’autres gibiers. Quelque part... ça nous dérange. On préfère quand ça va vite. Et un ours en colère, c’est impressionnant. Enfin... Pas autant qu’un Loup en colère !
- J’imagine... Elle finit par esquisser un sourire. S’affoler pour un petit ours face au Chaman du Clan des Loups, pfff, ridicule. La pauvre bête n’avait aucune chance ! Mais si, ça sera rapide. Il n’aura pas le temps de dire “ouf”. Et cela nous fera un belle balade. Trois jours avant le mariage, de quoi nous changera les idées.

Elle supposait qu’ils seraient bien affairés avec les préparatifs et des tonnes de petits détails énervants à régler. Passer quelques heures loin de l’agitation, concentrés sur la chasse, leur ferait le plus grand bien.

- On va chasser pleins d’autres choses ! Des faisans et des cailles, du daim et du sanglier. On va tâcher de ramener du miel aussi, celui de nos ruches ne suffira jamais, et du poisson. Cueillir des plantes et des champignons, trouver des baies sauvages. Ce sera une grande campagne ! On ne sera que six pour l’ours, mais bien plus pour tout le reste !
- Et tu avais peur de t’ennuyer ! Elle éclata de rire.
- Mais ça c’est des corvées de dernière minute, quand tout le reste est prêt ! Protesta-t-il.
- Oui et bien prends des forces, parce qu’au dernier moment je t’accompagnerai pour l’ours mais ensuite je serai très occupée à me faire belle, alors pas question que je batte la forêt à traquer les champignons !
- Mais Nelith, belle, tu l’es déjà !

Elle rit plus fort encore et jeta un coup d’oeil à la liste. Aucun noble ne semblait y figurer parmi ceux qu’elle avait croisés en de rares occasions.

- Tu n’oublies personne de la Capitale ? Essaya-t-elle de demander par la bande, sachant qu’Elen appréciait de moins en moins les habitués de la Cour.
- Malheureusement non... Les Nobles, je n’en veux pas à notre mariage. Pas après leur réaction à l’enterrement de notre Reine. Et encore moins avec leur nouvelle loi et leur impotence. J’aurais bien invité Gaver... Enfin le Seigneur Gaver, mais on le dit absent. Le Seigneur Darwor ne me plait pas. Et je ne crois pas qu’il nous approuverait, contrairement à Gaver. Et la Reine... Elle sera là... Acheva-t-il, pinçant les lèvres.

Isa fronça les sourcils. C’était vrai, en un sens... Les cendres royales reposaient sous les racines du Chêne millénaire. Elle se serra contre lui et déposa un tendre baiser sur sa joue.

- Très bien, alors disons que tout sera envoyé demain.
- Hey ! C’était quoi ça ? Demanda-t-il, comme outré.
- Oh ! Monsieur chasse l’ours alors Monsieur ne tolère plus que sa fiancée le câline ? Rétorqua Isa sur le même ton.
- Au contraire ! Je me plains de l’intensité dudit câlin ! Moi vivant, tu n’auras droit qu’à ça ! Fit-il, l’attirant contre lui dans un fougueux baiser. Pas de demi-mesures. Et non seulement je tolère mais j’encourage vivement les échanges entre nous !
- Bon bon ! A bas les demi-mesures alors ! Lui concéda-t-elle, le regard pétillant.

La planification du mariage était largement avancée et le couple put considérer les devoirs finis pour aujourd’hui.

Le lendemain, le couple s'était mis d'accord sur l'intitulé du faire-part et Isa avait pu partir à la recherche d'Aileen qui l'aiderait sûrement à en recopier quelques exemplaires, avant de rejoindre Ninah à l'atelier.

La jeune Cerf revenait justement de quelque affaire qui l’avait retenue en forêt, loin de la Tanière pendant quelques heures. Elle salua Isa d’un signe de la main lorsqu’elle l’aperçut, un peu plus loin. L’Olympienne lui répondit de la même façon avant de la rejoindre.

- Ah Aileen, bonjour ! Comment vas-tu ? Je te cherchais !

- C’est toi qui te maries dans quelques jours et c’est toi qui me demandes si ça va ? Répondit la Cerf en riant. Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?

- Rhoo comme si j’allais encore te demander plein de services !... Bon d’accord, effectivement... Mais tu verras ça sera amusant ! Aileen allait finir par se méfier si l’Olympienne lui tendait souvent ce genre d’embuscades. On a enfin la liste des invités, est-ce que tu veux bien écrire les faire-part avec moi, pour qu’ils partent aujourd’hui ?

- Bah oui, il n’y a pas de problèmes !

- Et puis... Hum... Isa ne voulait surtout pas avoir l’air d’exagérer... Il faudra que nous allions ramasser quelques fleurs, pour les décorations, tu sais, faire des petites attaches fleuries... Et puis on enverra les gamins de la Tanière les porter, ça les occupera bien une petite heure.

La plupart des invités résidaient déjà à la Forteresse des Loups ou à proximité mais par principe, Isa voulait faire cela dans les règles de l’art. Elle observa Aileen, l’imaginant déjà en train de se demander dans quelle galère elle s’était fourrée.

- Wah, tout ça ! Tu veux me tuer, ou quoi ? Fit-elle en plaisantant avant de reprendre sur un ton un peu plus sérieux. Y a pas de problème, tu peux compter sur moi !

En vérité, la jeune Elfe était plutôt contente d'avoir l'occasion de participer un tant soit peu à l'organisation du mariage tant attendu. Elle savait qu'Elen et Isa avaient beaucoup à faire pour tout préparer aussi la Cerf ne rechignait pas lorsque ses amis lui demandaient le moindre service.

- Oh et puis aussi... Ça te dirait d’aller voir la robe ensuite ? Elle est loin d’être terminée, mais tu me diras si elle te parait assez jolie ?

- Ha oui ! La robe ! Bien sûr ! S’enthousiasma-t-elle.

- Tu veux commencer tout de suite ? Ou plus tard ? Si tu as des choses à faire, je peux t’attendre !

Isa avait l’impression d’être sur des braises ardentes. Elle ne s’arrêtait plus de parler, de poser des questions, de vouloir remuer ciel et terre... Était-ce la proximité du mariage ou les chamboulements de sa grossesse - plus probablement un mélange peu subtil des deux - mais elle avait du mal à se reconnaître, ces derniers jours.

- Ben, il fallait que... s’interrompit-elle, semblant réfléchir quelques instants. Non, rien en fait. Ça peut attendre ! On commence quand tu veux !

- Oh non, je ne veux pas t'embêter ! Ou je peux t’aider ? Ça ira plus vite peut-être ? J’ai un peu de temps, enfin pas trop mais peu importe !

- Mais non, tu ne m’embêtes pas ! J’ai dit que ça pouvait attendre, alors ça attendra ! Décida-t-elle, affichant un sourire amusé face à l’empressement de l’Olympienne.

- D’accord, alors viens, on se dépêche !

La jeune femme partit aussitôt vers l’entrée de la Forteresse, Aileen la suivant docilement. Elles seraient à leur aise pour rédiger les parchemins d’invitation dans la bibliothèque.

Une fois attablées, Isa fit lire le modèle à Aileen.

- Ça va tu crois ? Ce n’est pas trop pompeux ? On a voulu faire une blague à la fin. Il ne manque rien ? Les dates, tout ça ? Même l’adresse, des fois qu’on se perde ! Elle laissa échapper un petit rire tendu.

- Hum... Je ne suis pas une spécialiste en la matière, en admettant qu’on puisse être spécialiste des invitations, mais je pense que tout y est, ça me semble bien !

Heureusement pour Isa, Aileen n’était pas contrariante. Un petit grain de sable dans ses beaux projets et elle aurait été capable de fondre en larmes... Elle crut entendre sa petite voix se moquer quelque part, très loin dans son esprit.

- Bon alors il y a une pile de parchemins, on en a... Sur la liste, les noms furent recomptés pour la trentième fois, histoire d’être bien - bien - sûr... Vingt tout rond à écrire. Et je commence par le tien !

- Ha le mien ? J’en ai pas vraiment besoin, mais si ça peut te faire plaisir ! Fit la Cerf en éclatant de rire. Bon alors, on partage ? On en fait dix chacune ?

- Vendu ! Mais si, ça te fera un souvenir !

Les plumes furent dégainées pour une longue séance de recopiage minutieux. A la fin, Isa hésita et finit tout de même par prendre une vingt et unième feuille :

- Pour ma grand-mère...

L’invitation finirait peut-être en lambeaux sous les sandales d’Isandre mais lui faire l’affront de ne pas lui adresser le même mot qu’à tous les autres ne serait pas correct. Aileen resta silencieuse, préférant ne rien dire... De toute façon, qu’aurait-elle pu dire ? Toutes deux savaient très bien comment la vieille femme voyait ce mariage. Et à vrai dire, Aileen ne portait pas non plus la vieille dans son coeur... Elle ne lui avait jamais parlé mais sa première apparition fort peu aimable avait à peu près convaincu la jeune femme qu’essayer de dialoguer avec elle ne serait que peine perdue...

- Voilà ! Dis-moi, j’ai une idée ! Si on demandait aux petits de nous aider à ramasser les fleurs pour les décorations ? Tu vois ? On en fera un lien avec, une fois le parchemin roulé, ça fera joli non ? Isa était déjà debout, à expliquer en manipulant l’exemplaire qui avait servi de brouillon. Le pauvre n’en demandait pas tant. Ça les amusera et puis on pourra un peu discuter !

- Ho, oui, pourquoi pas ? Ils seront contents de nous aider, en plus ! Et à nous deux, on devrait réussir à ne pas se laisser submerger... Fit-elle avec un clin d’oeil, amusée.

La jeune Cerf avait parfois tendance à se laisser piéger par les enfants de la Tanière et, lorsqu’ils commençaient à être trop nombreux à s’intéresser à ce qu’elle disait, il n’était pas rare qu’elle ne sache plus où donner de la tête...

Ce fut bientôt un escadron de petites furies qui galopèrent aux abords de la Clairière des Ombres Cendrées pour ramener feuilles et fleurs aux jolies couleurs chamarrées.
Dans un panier d’osier, les jeunes femmes assises dans l’herbe piochaient les rouleaux de parchemin, nouaient les décorations et rendaient les invitations aux enfants qui couraient alors les remettre à leurs destinataires, un peu partout dans la Forteresse. Pour les plus éloignés, elles enverraient ensuite un messager plus officiel.
Tandis qu’elles surveillaient du coin de l’oeil la marmaille qui s’égayait, Isa lança, un petit sourire aux lèvres :

- On refait cela quand, pour Evonis et toi ?
- Pour..?! S’étonna-t-elle avant de se reprendre. Humpf. Déjà on va voir comment ça se passe pour Elen et toi ! Fit-elle finalement en tirant la langue à Isa, prenant soin d’éviter de répondre à la question...
- Hey ! Comment ça, “comment ça se passe” ? Ça a l’air si catastrophique ? Rétorqua l’Olympienne, prenant un air vexé.
- Ho... Euh, non, c’est pas ce que je voulais dire... Tout a l’air pour le mieux !
- Ah, bon, j’ai cru un instant. Fit Isa, taquine. Mais elle n’était pas encore prête à renoncer à sa question : Alors dis-moi ! Ça ne vous tente pas ?
- Ben, euh... Je... Sais pas... On n’en a pas parlé... Hésita-t-elle.
- Ah ? Et vous parlez de quoi alors ? Continua Isa en riant. Tu sais, ça n’a échappé à personne, ton déménagement !
- Bah, en même temps on pas cherché à se cacher... Quant à te dire de quoi on parle... Je ne sais pas, de tout et de rien ? Enfin, de plein de trucs... Comme toi et Elen, je pense ? Répondit-elle, non sans songer que par moments, les mots étaient superflus entre elle et Evonis...

L’Olympienne hocha la tête. Décidément, il était plus difficile que prévu d’arracher quelques confidences à l’Intendante.

- Bon en tout cas... Ne faites rien quand on ne sera pas là ! On voudrait voyager un peu, pendant quelques temps. Une sorte de lune de miel, peut-être un peu plus longue...
- Ho, c’est une bonne idée ! J’suis sûre que ça sera super ! Et ne t’en fais pas, on sera trèèèès sages, quand vous serez partis... Enfin... Autant qu’on peut l’être quand le Chaman n’est pas là !
- Ce n’est encore qu’un projet, c’est vrai que ça laisserait Evonis seul pour s’occuper du clan. Et puis il y aura le bébé... Ça sera peut-être plus compliqué que prévu... On verra bien.
- Le... Le bébé ? S’étonna-t-elle, écarquillant les yeux. Tu... T’es enceinte ?
- Je crois bien. Affirma Isa, un sourire s’épanouissant sur son visage. Puis, pour taquiner sa Prima Luwä, elle ajouta : Ne t’inquiète pas, tu as encore quelques saisons de répit.
- Mais c’est génial ! S’exclama-t-elle, ignorant la boutade. Elen doit être aux anges, non ? Il ne te couve pas trop, au moins ?
- Il a l’air... Vraiment heureux. Mais tu sais comment il est, pas toujours très démonstratif quand on ne le connaît pas bien. Il était notoire qu’Elen ne manquait pas une occasion de chouchouter sa fiancée, pourtant là en l’occurence : Mais non, pas du tout, imagine qu’il m’a proposé de l’accompagner à la chasse à l’ours !
- Rien que ça ! La chasse à l’ours ! Fit-elle, impressionnée.
- Oui, pour le banquet du mariage. Mais ils seront plusieurs chasseurs, d’ailleurs Evonis devrait être de la partie. Tu voudras venir ? On suivra de loin pour ne pas trop les déranger, ça sera amusant !
- Ca sera avec plaisir ! Je me demande bien de quoi ça a l’air... Et puis il faut que je surveille Evonis, s’il en fait partie aussi. Si je ne suis pas là, je parie qu’il trouverait le moyen de se blesser ! plaisanta-t-elle.
- Comme tu dis ! Que feraient-ils sans nous, de toute façon ! Renchérit Isa. Puis avec un air entendu à la jeune Elfe :C’est bien pour ça que... Enfin, tu vois...

Aileen retint un rire.

- Ho, oui je vois tout à fait... Mais... Y a rien de prévu pour le moment !
- Bon d’accord, je n’insiste plus. Jusqu’à la prochaine fois.
- Si tu veux... Fit Aileen, évasive.
- Ah mais n’en profite pas pour faire ta mystérieuse ou je continue !
- Ha non, surtout pas ! S’exclama-t-elle en éclatant de rire.

Les parchemins s’étaient quasiment tous envolés et les enfants retournaient à leurs jeux habituels, près de l’entrée de la Forteresse. Il n’en restait que quelques-uns à envoyer, dont un qu’Isa se réservait.
Les Titans passaient progressivement leur zénith et le rendez-vous avec Ninah approchait.

- On va voir la robe ? Et puis je commence à avoir faim... Je ne peux plus prendre un énorme petit déjeuner comme font les Loups d’habitude, alors si je ne grignote pas de temps en temps, je vais finir par tomber d’inanition !
- Ha, alors il vaut mieux que tu avales quelque chose ! Fait un peu attention, voyons ! Fit Aileen, feignant de réprimander la jeune Olympienne.
- Oui ‘man. Répondit sagement Isa en se levant puis elle épousseta quelques brindilles qui s’accrochaient à sa robe.

A l’entrée de la Tanière, Isa trouverait bien un messager à qui confier les derniers rouleaux. Tout serait livré avant le soir.
Aileen se leva à son tour, faisant fi des brindilles et prit la direction des cuisines de Tanière où elles trouveraient sans doute de quoi se remplir l’estomac.

Isa évita soigneusement les fromages, la charcuterie trop goûteuse et à son grand regret même certains fruits dont l’odeur alléchante en temps normal lui soulevait désormais le coeur. Elle se rabattit sur une tranche de pain, un petit bout de rôti et quelques légumes juste bouillis qui avaient échappé au ragoût. Heureusement, d’après Cyan, ce régime peu attrayant ne devrait pas se prolonger trop longtemps : les fameuses “nausées” qui n’avaient tout compte fait rien de matinal finiraient par disparaître en une paire de saisons. Aileen de son côté, se contenta de quelques fruits, n’ayant pas un appétit digne de ce nom. Elle s’était adapté au rythme des Loups et se contentait donc d’un petit déjeuner très copieux lui permettant de tenir jusqu’au repas du soir...

Leur collation prise, elles se rendirent à l’atelier. Là, les patrons avaient laissé place à l’ébauche de la robe qui tenait grâce à une collection d’aiguilles plantées régulièrement dans le tissu. La forme générale était cependant clairement visible.

- Ah vous voilà ! Alors, dites-moi un peu ce que vous pensez du bâti !
- Bonjour Ninah ! Tu sais bien que je suis déjà convaincue ! Mais on va voir ce qu’en pense Aileen.
- Elle va d’abord me dire si la nuisette a plu à Evonis ? Fit la couturière avec un petit clin d’oeil à sa cliente elfe, tandis qu’Isa regardait l’une puis l’autre avec un sourcil relevé.

La Cerf éclata de rire, un peu gênée néanmoins.

- Oui, il a bien apprécié ! Répondit-elle, sentant qu’elle devait rougir un peu...
- Ah oui, donc entre “autres trucs”, vous parlez nuisette, si je comprends bien... Enfin parler, c’est peut-être beaucoup dire hein ? Moqua gentiment Isa. Bon alors la robe...
- Euh, oui ! La robe ! La Cerf examina quelques instant l’ébauche, trop heureuse de changer de sujet. Ben, je dois dire qu’elle est plutôt... Magnifique ! Vraiment. Tu vas être superbe, Isa !
- Tu crois ? Ses joues prirent des couleurs aussi.Elle n’est pas... Un peu trop... Verte ? Tu sais... Je me demandais si ça n’allait pas embêter Elen. Mais elle me plaît tellement comme ça !
- Trop verte ? Non, je la trouve très bien !
- Bon parfait alors ! La jeune femme eut l’air vraiment soulagé.
- Quand je lui disais ! Mais personne ne m’écoute ! Lança Ninah à l’Intendante et cette dernière lui rendit un sourire amusé. Puis, avec une autorité bien plantée, elle continua pour Isa : En attendant, réserve-moi tes matinées. Si tu veux apprendre, je compte te voir tous les jours jusqu’à ce qu’elle soit terminée !
- Sans faute !
- Et pour toi ? On a d’autre modèles de dentelles si tu veux jeter un coup d’oeil, proposa la couturière à Aileen en montrant un panier rempli de lingerie fine.
- Ho, bah je... Euh... C’est gentil... Enfin, je.... Bredouilla-t-elle, rougissant derechef.
- C’est vrai que ça a l’air joli !
- Oui mais toi tu as le temps d’y réfléchir, parce qu’avec le petiot, là...
- Pas faux... Je me rattraperai quand il n’y aura plus de risque que je me transforme en barrique !

Aileen lâcha un discret soupir de soulagement, voyant qu’on ne s’intéressait plus à elle... Pour l’instant.

- Tu verras, Ninah fait vraiment un travail merveilleux ! Fit-elle à l’Olympienne, non sans un clin d’oeil.

Isa lui sourit, ce n’était que partie remise.

- Voilà, tout est réglé ! Merci Aileen ! Tu as besoin d’un coup de main pour ce que tu comptais faire tout à l’heure ?
- De rien, c’était un plaisir ! Euh, non, ça va aller... C’est pas urgent...
- Bon... Alors à plus tard ? Je vais aller voir ma grand-mère maintenant.
- Bon courage, en tout cas ! Lui répondit-elle avec une moue vaguement dégoutée.
- Merci... A demain Ninah !

Si vous logez à la Tanière, vous voyez arriver vers vous, en trombe, une volée d'enfants Loups. Ils tiennent de petits parchemins roulés, chacun tenu clos par un cordon de tiges fleuries. Ils se plantent devant vous, vous tendent le message et lancent, très fiers de réaliser une mission aussi importante :

- C'est pour touaaaa !

Dès qu'ils sont débarrassés du courrier, ils détalent comme ils sont venus, les joues légèrement rougies.

S'il faut vous chercher plus loin que dans les parages de la Clairière des Ombres Cendrées, alors c'est un coursier plus expérimenté qui vient vous trouver pour vous remettre l'invitation.



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Réponses aux faire-part

~ Morgane ~

Morgane déplia le petit parchemin que lui tendait l’enfant. Elle ne fut pas surprise de son contenu, elle avait pu voir tout ce qui se passait entre son amie des LEDA et l’Elfe Elen.
Elle prit un nouveau parchemin et s’appliqua pour écrire.

Je serais honorée de faire partie des vôtres pour cette journée très spéciale.
Amitiés. Morgane

Elle reprit le lien fleuri du premier parchemin et s’en servit pour enrouler le sien, puis elle le tendit à l’enfant en lui précisant de le ramener à son expéditeur au plus vite.

~ Rôde ~

Les missions étaient maintenant terminées. Plus rien ne le retenait ici et Lardanium lui semblait tellement loin maintenant... Les personnes qu’il avait connues jusqu’ici avaient soit péri, soit fait leur route de leur coté, même les membres des LEDA semblaient disparaître au fils du temps, Arunay, Yanlos et maintenant Isa.
D’après les informations qu’il avait eues sur la cité, aucune personne ne s’était présentée pour les nouvelles élections de Lardanium et la ville ressemblait maintenant à une ville fantôme.
Son Altesse lui pardonnerait-elle son abandon ? Après tout il ne s’était pas représenté, d’ailleurs il ne ressentait même pas l’envie de retourner à Lardanium. Peut-être était-ce le moment pour lui de tirer sa révérence, après tout jusqu’ici, il n’avait été qu’imposture. Connu sous le nom de Rôde-la-nuit, il était entré à Lardanium et avait gravi les échelons sans que personne ne se pose la moindre question; il ne laisserait donc, derrière lui, qu’un surnom sur quelques bouts de papier.

Cela allait faire un bon moment qu’il n’était plus retourné dans son village natal, « le village des fous » comme on le surnommait depuis l’attaque des Lestrygons. Le temps semblait avoir estompé petit à petit la malédiction qui frappait ses habitants et certains commerces avaient réouvert, notamment celui de son père, un vigneron jadis réputé.

Alors qu’il fouillait dans son sac afin de récupérer son sceau de retour pour disparaître sans être remarqué, Rôde senti une drôle de forme dans sa besace. C’était un petit parchemin roulé, celui-là même que lui avait tendu l’enfant. L’Olympien le contempla d’un air pensif.

- Tu comptes y aller ? Les propos de Tizi extirpèrent l’ex Grand Pontife de ses pensées.
- Un peu tard pour ça…. Ne penses-tu pas ? Rétorqua Rôde d’une voix monocorde, maudissant intérieurement l’intervention de la Lutine. Cette dernier avait le chic pour se trouver là ou il ne fallait pas.
- Sans doute te laisseront-ils venir même si l’échéance est dépassée...
- Ça ne se fait pas ! Rôde, gardant la même intonation, venait d’interrompre son amie. Une célébration ça se prépare à l’avance, il faut connaître le nombre exact de participants afin de préparer en conséquence, c’est pour cette raison qu’on inscrit une date de retour sur les courriers !
- N’es-tu pas un privilégié ?!... Et ne me sors pas comme excuse la perte de ton statut, il n’est pas question de ça et tu le sais bien ! En tant qu’ami et ex-compagnon de guilde d’Isa je suis sure qu’ils feront un effort, et puis ça ne coûte rien d’essayer.
- ... Au risque de manquer de savoir vivre, que fais-tu donc de l’éthique ?
- Oh ça je m’en moque éperdument ! D’ailleurs je peux te dire que ça se fait d’envoyer ce genre de choses en retard, la preuve je viens tout juste d’envoyer ma réponse !
Bon, ce n’est pas le tout mais j’ai à faire moi.... Je dois encore trouver des cadeaux ! Alors que la Lutine avait tourné les talons, elle ajouta : ... Ah oui ! Je me suis également permis d’y ajouter ton nom, je suis certaine que ça fera plaisir à Isa !

Connaissant le franc parlé de la Lutine, l’Olympien s’inquiéta de la formulation qu’elle avait employée pour leur répondre.

- Qu’as tu été encore leur dire...petit diablotin, marmonna l’Olympien.

Rôde se massa le haut du front. Finalement il allait rester un peu plus longtemps que prévu, au moins jusqu’à la fin de la cérémonie.
Sur le papier qui arriva dans les mains de leur destinataire, on pouvait y lire les paragraphes suivants :

Coucou vous deux,

Désolée pour le retard, le grand amnésique a oublié d’envoyer sa réponse, quant à moi je n’ai pas vraiment de justificatif pour excuser cet envoi tardif.
J’espère qu’il vous restera encore un peu de place, au pire ne vous souciez pas de la bouffe on ramènera des sandwiches.
A bientôt… j’espère.

Tizi

PS : Isa, si la grande asperge n’est pas contente, un bon coup de poêle sur le melon est parfois aussi efficace qu’un coup de crosse d’arbalète lourd. Et si tu n’arrives pas à atteindre le sommet de son haut crane, vise plus bas… Si tu vois de quoi je veux parler.

~ Dalhia ~

Dalhia courait tout droit devant lui, un parchemin serré dans les mains. Il ne regardait pas vraiment où il allait, tant et si bien qu’il finit par percuter quelque chose ! Boum, et voilà le pauvre lutin à terre sans comprendre comment. Il se frotta vigoureusement le front, là où il s’était cogné.

- Ah... Aïeeeuh... Fit-il en regardant sa main. Au moins il ne saignait pas... Puis il leva les yeux vers ce qu’il avait percuté et sursauta en reconnaissant un Elfe. Oh pardon je... Je... J’ai pas fait exprès, j’voulais pas ! Chuis désolé, m’sieur... Bredouilla-t-il.

Il resta quelques instants à le regarder, ses grands yeux levés vers cet Elfe immense... Et il sursauta à nouveau.

- Euuuuuh j’suis désolé m’sieur Elen ! J’regardais pas... Et puis y avait vous, mais j’avais pas vu... Alors j’me suis fait mal... Et puis, et puis je voulais vous donner ça, en fait ! Je... Voilà !! Je euh... Je voulais le donner avant, mais j’ai pas trouvé où vous étiez...

Le Lutin lui tendit naïvement le petit rouleau qu’il transportait avant de baisser les yeux, se tordant les mains sans vraiment savoir quoi faire. Sur le parchemin était rédigé un mot de réponse à l’invitation, d’une écriture enfantine et incertaine et, bien sûr, tachée de quelques ratures...

Les préparatifs s’accéléraient alors que le couple recevait de jour en jour les réponses à leurs invitations. Morgane fut la première à confirmer sa venue, suivie de près par Odeli et Lindorie de l’Eclat des Lunes. Cyan, la mère d’Elen, comme Evonis et de nombreux proches étaient déjà comptés d’office et cela engendra quelques calculs étranges chez les cuisiniers qui s’appliquaient à définir les quantités de gibier à chasser et de légumes à récolter :

- Bon alors on compte une part pour l’Olympienne...

- Nan, une et demie. Et une autre pour notre Chaman.

- Heureusement que lui n’est pas un goinfre... Il en faudra bien quatre pour Evonis.

- Six tu veux dire ! Et au moins trois autres pour sa copine, non ?

- Où elle mettra tout ça ? Deux ça suffit. Et la vieille bique ?

- Rien pour elle, elle a déjà sa méchanceté à ruminer.

- Pas faux...

Leur apprenti arriva, l’air bien embêté :

- Désolé de vous interrompre mais le Chaman vient de nous prévenir qu’il faut aussi rajouter l’ancien Grand Pontife, son amie la Lutine, le Géant Fulminor et le petit Dalhia...

Les deux autres échangèrent un coup d’oeil avant de fusiller leur aide du regard.

- Rhoo les pénibles ! Ça fait quoi alors ? Deux demis de plus ? Et encore une et... Deux ?

- Je sais pas moi, ça mange comment, un Géant ?

- Trop. Répondit l’autre, peu ravi d’avoir à cuisiner pour d’aussi grands gabarits.

- Oui, mais trop comment ?... Deux ? Trois ?

Ils s’étaient tortillé les doigts, jouant des moitiés de parts sur leurs phalanges repliées mais le décompte devenait bien trop compliqué, même à quatre mains.

- Oh et puis zut, va pour cinquante. S’il y a des restes, ça sera ça de moins à faire pour le lendemain...

- Mouais, mieux vaut trop que pas assez, hein, comme on dit.

La liste s’était considérablement agrandie au fur et à mesure qu’ils avaient élaboré les buffets. Chasseurs et jardiniers auraient un dur labeur bien avant que les cuisiniers n’aient à s’affairer.

C’est ainsi que, trois jours avant le mariage, une troupe bien armée partit en forêt. L’ours au miel cuit à la broche, entre autres, était toujours au programme mais pour l’instant, il courait encore les bois.

Alors que les hommes traquaient la bête, usant de toutes leurs compétences de pisteurs, aussi silencieux que des ombres, les sens aux aguets comme les plus aguerris des prédateurs, les suivaient deux jeunes femmes très occupées à discuter et glousser à quelques confidences croustillantes de l’une ou de l’autre. De temps en temps, un Elfe se retournait, l’air revêche et leur intimait d’un index autoritaire sur la bouche de faire silence. Ce qui les assagissaient bien... Quelques minutes.

Le repas fut sauvé quand, distancées par la compagnie de chasseurs, elles ne furent plus en mesure de faire fuir la proie. Aileen et Isa n’entendirent que le tumulte du début de la mise à mort du bestiaux et durent courir pour éviter de tout rater !

L’ours était immense et il fallut l’assaut concerté d’Elen et d’Evonis pour en arriver à bout tandis que les six autres Loups coupaient toute retraite à l’animal enragé.

Évidemment les donzelles n’en eurent que pour leurs chevaliers servants respectifs et rejouèrent l’âpre combat entre elles :

- Evonis a frappé bien plus fort !

- Oui mais Elen a mieux visé !

- Mais Evonis a sauté plus haut !

- Elen ne s'est pas cogné à la branche, lui !

- C'est pas vrai, il s'est pas cogné, c'est juste qu'elle gênait alors il l’a cassée ! Protesta Aileen.

- Avec son nez ?

- Ben euh... C’est une méthode comme une autre !!

- Et pendant ce temps Elen lui ouvrait le coeur !

- Le coeur, vraiment ? C’est pourtant pas lui qui a infligé le coup de grâce... Evonis l’a décapité ! Fit-elle, exagérant volontairement les prouesses de son Loup.

- Humpf... La petite entaille au cou ? Elle arrivait bien tard ! Rétorqua Isa, minimisant de bonne guerre le coup acéré de l’Ashka.

- Tu plaisantes ? C’est ça qui a achevé l’ours, il n’y a pas de doute à avoir là-dessus ! Prétendit Aileen, feignant d’être une experte en la matière.

- N’empêche... Avec sa branche dans la figure, il ne l’aurait pas eu si Elen ne l’avait pas déjà à moitié occis...

- Tu parles, c’était qu’une broutille, la branche ! L’ours n’a eu que quelques secondes de répit de plus, c’est tout. Affirma-t-elle. Sur le moment, elle s’était un peu inquiétée mais Evonis n’avait pas eu l’air plus gêné par la branche que par une vulgaire mouche...

Les hommes quant à eux, pendant que les demoiselles se chamaillaient à qui mieux mieux, profitaient de s’auto-congratuler, une gourde de gnôle circulant entre eux pour fêter la prise d’exception. Elen en prit une bonne rasade, levant le coude avec une tranquille assurance qui ne laissait planer aucun doute : le Chaman avait eu par le passé une affinité particulière avec les bouteilles. Evonis, lui, fut bien plus timide, malgré sa carrure bien plus imposante que celle de son comparse. Les autres Loups firent peu de manière pour la plupart.

Ils portèrent leur prise sur une charrette, stationnée plus loin, dans laquelle se trouvait déjà volailles et champignons. Les prises étaient bonnes, et le repas ne manquerait pas d’être somptueux. Il leur faudrait encore chasser quelques heures, faire un peu de cueillette et le tour serait joué.