Un roi sans couronne | |
Topic visité 490 fois Dernière réponse le 29/06/2009 à 01:23 |
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La douce lumière orangée de la lampe à huile peinait face au courant d’air frais traversant la pièce. Elle semblait animée d’une vie propre, se débattant face aux assauts répétés du vent. Le roi observait depuis longtemps la flamme d’un air évasif, perdu dans ses songes, reportant de temps en temps son attention sur le combat se déroulant sous ses yeux. La rumeur de la ville s’était tue depuis déjà plusieurs heures et la nuit ne semblait pas vouloir se rafraîchir, pesant de tout son poids sur le nain, renforcée encore par le silence et l’absence de lune.
Bien que Hoignar eut fait changer la décoration des appartements royaux dans l’après midi, ceux ci respiraient encore la présence du roi défunt ainsi que sa longue maladie. Hoignar était un nain superstitieux, accordant beaucoup de crédit au spirituel. Il avait catégoriquement refusé d’utiliser le lit de l’ancien roi, le faisant brûler pour en construire un nouveau. Malgré cela, ainsi que les nouvelles tentures sang et or ornant les murs, le sommeil le fuyait désespérément. Au moment ou le vent l’emporta sur la flamme et que cette dernière agonisait en une fine fumée grise, le nain se décida à sortir en pleine nuit. Le temps de prendre une dague d’une main hésitante et d’enfiler un manteau, le roi poussa la lourde porte en châtaigner, rassuré par le grincement déjà familier des gonds. A peine fut-il sorti de la pièce que le cliquetis métallique d’un garde se levant brusquement résonna à plusieurs reprise sur la pierre du couloir. Un nain en armure, fatigué de sa garde mais vaillant et alerte, se posta devant le roi. « Quelque chose ne va pas Majesté ? » Köth. C’était là un nain vaillant, loyal, et dont le leitmotiv semblait être chaque jour toujours plus dévot que la veille envers son roi. Il fut le premier nain que Hoignar choisit pour le protéger et le suivre. Il l’avait connu lors de la chute de Kazad a gorog, alors qu’il n’était encore qu’un simple nain, se détachant timidement du reste de la populace. Ils avaient rampé, jeûné, marché, sur des milles et des milles, au milieu de nulle part, fuyant tant bien que mal une vie qu’ils languissaient déjà si douloureusement. Les deux nains sortirent de cette période chamboulés, mais rassurés d’avoir quelqu’un envers qui avoir une confiance absolue, partageant le genre de lien qui peut se former entre deux individus qui ont frôlé la mort côte à côte. « J’ai besoin d’aller prier. » Hoignar n’avait pas besoin d’en dire plus. Les deux nains traversèrent plusieurs couloirs avant de débouler sur une place déserte où seul un chien piteux semblant chercher quelques détritus à se mettre sous la dent les dévisagea. Köth marchait devant le roi, tenant sa torche à bout de bras comme pour mieux braver les ténèbres de la nuit. Après quelques ruelles et plusieurs badauds dont la vue du nain en armes et armures suffit à faire déguerpir, le roi et son garde entrèrent dans un temple imposant en plein cœur de la ville. Un prêtre olympien, le visage émacié et le regard perçant, se traîna tant bien que mal devant les deux nains, semblant prendre tout son temps pour traverser la grande pièce où colonnes et dalles de marbres rivalisaient d’ornements tous plus étouffants les uns que les autres. « Que puis-je pour vous maître nain ? » Le prêtre semblait manifestement prendre à un malin plaisir à oublier les formules d’usages que l’on adresse normalement à un roi. A chaque fois que Hoignar allait au temple, le prêtre lui adressait la même flagornerie d’une voix trahissant à la fois l’ennui, l’insolence, et la suffisance. « Je suis venu prier Héphaistos » Hoignar passa alors devant le prêtre sans même lui accorder un regard. L’envie de lui expliquer d’un ton acide qu’il n’était pas venu pour discuter avec un prêtre sodomite au beau milieu de la nuit était tellement forte qu’il préféra couper court à la conversation, le moment n’était pas trop choisi pour s’attirer des ennuis avec la caste religieuse de Lardanium. Hoignar foula les dalles de marbres jusqu’à la grande statue d’Hephaistos, et s’agenouilla au pied de celle ci. Köth se posta à quelques metres du roi, attentif, et Hoignar, seul fidèle à s’adresser au dieu à cette heure ci, récita sa prière à voix haute. « Ô Héphaistos, Dieu du feu, des forges et des volcans, puisses tu m’aider à trouver la force de guider mon peuple. Je ne suis devant toi qu’un simple nain, perdu dans une ville qui n’est pas la sienne. Comme tu fus jadis rejeté par ta mère et chassé de l’olympe, j’ai été chassé de mes montagnes et cela comme tout mes frères. Donne moi la force de guider mon peuple et de leur bâtir un endroit où ils puissent se sentir chez eux et en paix. Les dieux ont décidé de nous héberger ici, et je vous en serai tous eternellement reconnaissant, mais nous ne nous sentirons jamais chez nous. J’ai pourtant essayé de trouver ma place, mais je ne serai jamais l’égal des olympiens, je l’ai lu dans leur yeux. Je m’adresse à toi car tu as connu ce sentiment, tu as été rejété parce que tu étais différent, et c’est pour cela que nous, nains, t’aimons et te rendons hommage si souvent. Ô forgeron divin, puisses tu ne me donner qu’une once de ta force et de ton courage pour guider les miens. » Hoignar resta longtemps agenouillé et la tête baissée après sa prière, dans un état de méditation. Il se releva doucement, poussant un grognement sourd, les genoux endoloris par le sol de marbre. Il sortit du temple, toujours accompagné de Köth, et s’arréta un instant sur les marches pour contempler l’aube et sa lumière orangée dissipant lentement la nuit. |