Legends of Olympia : La Ballade des Mémoires - Et si à l'aube l'on se perdait
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Et si à l'aube l'on se perdait
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Dernière réponse le 16/11/2009 à 14:38

olymp Par Isa Cestia  le 04/07/2009 à 19:12

Annexe du Havre d'Aphrodite ~ 38ème jour de la Saison des Fruits, 49ème année de l'Age de la Découverte

Le bâtiment de pierre n'offrait qu'une fraîcheur relative alors que la Saison des Fruits touchait à sa fin.
Isa, dans un demi-sommeil presque fiévreux, interposa une main entre son visage et le rai de lumière qui venait la débusquer sur sa couche sommaire en se faufilant à travers les vieilles meurtrières qui servaient maintenant de simples ajours dans les murs épais de l'annexe du Havre d'Aphrodite.

Elle pouvait bien bailler, soupirer, ronchonner… Son combat s'annonçait définitivement vain. Le premier astre était là, son règne évident et routine et corvées l'attendaient déjà, un étage plus bas.
Elle se redressa pour s'asseoir au bord de la banquette rendue inconfortable par la paille tassée qu'elle ne pourrait changer qu'après les moissons, n'ouvrant les yeux que pour aviser ses sandales abandonnées évidemment hors de portée et, posée sur une étroite commode, la petite vasque destinée aux ablutions, seule alliée revigorante dans cette aube moite.

Les cloisons de toile épaisse entre les couches attitrées de la douzaine de servantes conféraient une intimité sujette à caution. Aussi entendait-elle les bruits familiers de celles qui se préparaient.
Elle n'aimait pas être en retard. Ou plutôt préférait-elle éviter de se faire remarquer. Avant que les sons ne s'apaisent pour lui signifier qu'elle serait parmi les dernières à se lever, elle prit son courage à deux mains.

Une douleur fulgura dans sa cheville au moment où elle faisait reposer son poids dessus. Etouffant un cri, elle se laissa retomber sur le lit pour vérifier l'étendue des dégâts : l'articulation était légèrement bleuie, assez enflée mais il semblait, au parfum de plantes encore soutenu que la peau exhalait à cet endroit, qu'elle avait été soignée.

- Te voilà belle… Maugréa-t-elle à mi-voix.

Il n'était pas rare qu'elle se réveille avec quelques égratignures mais l'appréhension l'étreignait à chaque fois. L'ignorance, quand elle la touchait d'aussi près, était particulièrement inquiétante. Elle décida de faire provisoirement l'impasse sur sa toilette pour aller lire sa "page du soir" et y trouver, espérait-elle, une explication.
A peine une toise la séparait d'une minuscule table qui jouxtait le pan de tissu falsifiant la porte de son alcôve et au tabouret qui transformait le pauvre meuble en un richissime bureau.
Le bout de parchemin était étroit et mal découpé. Sûrement une chute d'un panneau plus grand qui avait servi à quelque ouvrage de valeur, comme la plupart de ceux qu'on lui donnait. Elle fronça les sourcils en voyant l'écriture précipitée en lignes ondoyantes, à peine reconnaissable. Elle s'assit pour soulager sa cheville et entama, fébrile, la lecture :

Ma sœur !

Je suis désolée ! Je voulais tant me dépêcher pour te raconter la représentation que mon pied a glissé dans les escaliers… J'ai déjà mis un peu de baume mais tu devras sûrement recommencer. Il est dans le tiroir de la commode, comme d'habitude… Ne m'en veux pas...

Mais plus important ! J'ai suivi tes conseils, après la deuxième phrase ! Le court instant que tu m'avais dit de laisser ! Grands Dieux, si tu avais vu l'assemblée, suspendue à mes lèvres, attendant un simple souffle, un seul mot de moi ! Tous ces regards, cette impatience ! Comment te décrire cela, ma sœur ? J'ai tellement hâte pour toi, tu verras ! J'en suis presque jalouse, n'est-ce pas curieux ?


Isa soupira. Le regret de ne "pouvoir refaire" en quelque sorte, contre l'excitation de la découverte… C'était un débat qu'elle avait renoncé à mener, tant étaient étranges les idées et les implications qui en ressortaient.

Mais trêve de bavardages, je dois me coucher ou tu seras trop fourbue demain pour ...

Des talons de sandales claquèrent dans les escaliers. Seules les Sœurs s'octroyaient le privilège d'annoncer par cet artifice leur présence. Les servantes étaient réprimandées si elles dérangeaient de cette façon la quiétude du Havre.

- Allons mesdemoiselles, les services n'attendent pas ! S'exclama Sœur Alys en arrivant dans le dortoir.

Celle qui faisait office d'intendante, une des plus jeunes prêtresses à laquelle on confiait la charge d'orchestrer l'entretien des bâtiments, prenait son rôle de maîtresse de maison très au sérieux.
Le brouhaha prit de l'ampleur. Isa imaginait le mouvement de ses camarades, comme un banc de petits poissons qui essaierait d'échapper à un prédateur, variant les directions, se scindant s'il le fallait… Puis plus rien, lorsqu'elles se furent toutes enfuies vers le rez-de-chaussée.
Isa allait être encore bonne dernière… Elle se leva en déchiffrant les derniers mots, les lèvres pincées pour ne pas grimacer et redoutant d'avoir à boiter toute la journée.

- Pas encore habillée ?

La toile béa pour laisser le passage à Sœur Alys. Prise en flagrant délit dans sa fine chemise de nuit, Isa s'immobilisa et baissa les yeux : on n'avait pas le droit de dévisager les représentantes d'Aphrodite, le spectacle de leur beauté sculpturale n'était réservée qu'aux classes plus nobles qui venaient prier au Havre.

- Non ma Sœur… Murmura-t-elle.

Elle n'avait d'autres options que de la laisser inspecter la petite pièce et détailler sa mise de haut en bas, ce que la Sœur ne manqua pas de faire.

- Est-ce cela qui vous a retardée ?

Le regard inquisiteur s'accrocha au bureau où des parchemins de tailles diverses s'entassaient dans un angle, la feuille de la veille posée seule au milieu. Sans vergogne, elle la prit pour la lire. Isa se sentit rougir, mais elle ne pipa pas mot.

- Hum… Je vois.

Dans l'intonation mêlée de reproches, il y avait une pointe d'amusement qu'Isa ne remarqua pas, toute occupée à devenir aussi transparente que possible.

- Mettez un bandage avant de descendre ou vous ne nous servirez à rien aujourd'hui. Et il serait dommage que vous ne puissiez jouer ce soir…
- Oui ma Sœur. Répondit timidement Isa qui aurait tout fait pour ne pas être privée de son seul loisir.
- Bien. Dépêchez-vous, votre retard est déjà sacrilège.

La jeune femme pâlit. Ses rares notions d'humour étaient à mille lieues de s'appliquer à la religion.
Elle sentit plus qu'elle ne vit Sœur Alys se retourner pour partir, la page à la main. Isa se mordit les lèvres pour ne pas l'interpeller. On ne pouvait faire pire que lui arracher ces petits moments de vie qu'elle transcrivait jour après jour… Mais la Sœur se retourna, l'air visiblement satisfait.

- Suis-je distraite. Fit-elle, en reposant la feuille sur la table. Est-ce bientôt votre "jour de lecture" ?

Mais elle connaissait déjà la réponse et ne laissa pas le temps à Isa de confirmer.

- Que cela ne vous monte pas à la tête.

L'avertissement avait été on ne peut plus clair. Isa déglutit avant de répondre avec humilité :

- Non ma Sœur.

La journée s'annonçait fort longue et pleine de zèle...



elfe Par Ambre  le 06/07/2009 à 16:24

Et ba moi j'aime beaucoup!



olymp Par Isa Cestia  le 29/07/2009 à 17:35

(Merci ^^ )


Arène des Héros ~ 42ème jour de la Saison des Fruits, 49ème année de l'Age de la Découverte

Une impression de chute réveilla Isa en sursaut. Elle se redressa, une main en appui dans l'herbe – de l'herbe au pied du lit ? Sa pensée encore embrumée s'en étonna aux limites lointaines de sa conscience - et dut lutter à l'improviste contre quelque chose qui la tirait sur le côté.

- Hey !! S'exclama-t-elle, quand elle aperçut enfin l'importun qui tentait maladroitement de lui dérober sa besace qu'elle gardait en bandoulière. L'homme mince, aux allures de gamin et plus chapardeur que grand criminel, craignit sûrement qu'elle ne donnât l'alerte et se sauva. Tout en resserrant son sac entre ses bras, l'air renfrogné, elle observa les environs : si la verdure était bien présente, le mobilier par contre manquait tout à fait. La jeune femme s'était endormie contre un mur de ce qui semblait être un baraquement. Elle vit des gardes passer autour d'une poignée de feu de camps et réveiller de bourrades aux pieds ceux qui tardaient à émerger. Avant de subir le même sort elle se leva d'un bloc, ce qui lui permit de voir le mur qui barrait l'esplanade côté Ouest et l'orée d'une forêt qui bloquait l'horizon au Sud.
D'une main fébrile, elle ouvrit sa besace tout en jetant des coups d'œil inquiets autour d'elle mais un froissement caractéristique la rassura. Aussi rapidement qu'elle put, elle déroula le parchemin et le lit :

Ma sœur,

Tu te trouves dans l'Arène des Héros. Tous ceux que tu croiseras sont logés à la même enseigne que toi, à part quelques soldats que j'ai vu patrouiller. Certains ont bien voulu me donner des informations, ils ne sont pas si méchants qu'ils en ont l'air.

J'ai entendu parler d'une sorte d'épreuve. Si tu la réalises avec succès, tu pourras sortir plus vite de là, mais je ne sais pas si cela conviendra à Sœur Alys. Si tu lis les notes précédentes, tu verras qu'il ne figure pas grand-chose sur ses motivations, à part celles de te voir "voler de tes propres ailes". A vrai dire… Je ne sais pas si tu seras encore la bienvenue au Havre… Aucune des autres servantes n'a jamais eu à venir ici et certaines sont très vieilles !

Allons… Je ne dois pas t'inquiéter plus que nécessaire. Tu sais que cet endroit est fait pour s'exercer, il ne peut rien t'arriver de grave. Fais tout de même attention aux serpents, j'en ai vu beaucoup mais quelques pierres jetées suffisent à les effrayer. La visite du campement ne t'apportera rien de plus, tente plutôt ta chance vers l'Est. Tu trouveras sûrement d'autres Novices sur la route.


La lettre se terminait abruptement. Bien qu'elle ait pris l'habitude de s'écrire comme à une autre personne par commodité, elle ne poussait pas à l'excès de se souhaiter bonne chance ou de se recommander aux Dieux comme elle aurait pu le faire pour une véritable sœur. Pourtant, bien des fois elle aurait voulu lire ces encouragements mais Maître Yanos l'avait convaincue d'éviter ces petits pas qui pouvaient la conduire vers la folie.

Hésitante, Isa laissa son regard errer sur l'esplanade vers les bâtiments épars au Nord d'abord, puis dans le goulet qui cheminait vers l'Est tel un torrent de lumière bordé d'arbres. Un grand bâton gisait dans l'herbe à côté d'elle; elle supposa que c'était le sien et le ramassa. Sans trop d'allant, le regard rivé aux petits rochers qui pouvaient abriter des reptiles à l'affût, elle se mit en route.




olymp Par Isa Cestia  le 30/10/2009 à 17:47

Arène des Héros ~ 4ème jour du Souffle infernal, 49ème année de l'Age de la Découverte

Des incidents mineurs avaient parsemé quelques journées à errer dans les abords sécurisés des bâtiments de l'Arène. Un Elfe vindicatif s'était assagi en voyant la multitude de regards mauvais qui s'étaient tournés vers lui. Les demoiselles poussaient ça et là des cris d'orfraies chaque fois qu'une vipère dérangeait les herbes frémissantes sur son passage, ce qui avait le don ironique d'en faire surgir bien plus, complètement affolées par les piaillements et les piétinements chaotiques. Isa s'était trouvé un talent de circonstance dans le lancer de pierres et repoussait les (horribles !) monstres avec dextérité. Mais avant que ses nerfs ne lâchent, elle préféra abandonner la place aux occupantes légitimes pour se réfugier au milieu d'un petit bassin où trônait un unique palmier. De l'ombre pour un peu de repos, les pieds au bain dans l'eau fraîche et une certitude rassurante bien que toute improvisée : les serpents ne savent pas nager !

Une petite troupe s'était formée au gré des rencontres. Atsarias, un Olympien loquace doué pour préparer la tambouille prenait soin d'Hermione, une jeune femme qui semblait toute aussi perdue qu'Isa. Alors qu'un certain Hector Dulac et un Nain du nom de Rahgn' s'évertuaient à faire place nette près du centre d'entraînement à grand coup d'épée et de bâton, deux Hommes Sauvages se faufilaient au Nord entre les fourrés et les repaires des reptiles sans plus de désagrément que s'ils avaient déambulé sur la plus tranquille des sentes bordées de violettes et l'air bien décidés à remplir séance tenante la mission que les Instructeurs avaient confiée aux Novices.

Le plus enclin des frères à chercher compagnie s'était retourné et avait offert son aide à Isa. Elle avait pataugé dans l'eau claire jusqu'à les rejoindre puis ils contournèrent un marais dont les miasmes sous le vent empuantissaient malgré la distance l'air surchauffé.
Diboan était affable et son verbe d'une telle poésie qu'il rendait le cheminement aussi doux qu'une balade aux prés, lorsque la brise tendre murmure sa chanson et que l'on ne peut que sourire au soleil. Abibon était son contrepoint, à notifier son humeur impertinente seulement par quelques coups d'oeils amusés.

Lorsqu'un grondement sourd fit taire puis s'envoler les oiseaux, Isa leva les yeux au ciel. Un râle d'agonie couvrit la rumeur et ne lui laissa pas le temps de chercher les nues sombres. Ce n'était pas l'orage qui fondait sur eux, mais des chevaux immenses qui venaient en une charge infernale de terrasser un malheureux. Ses habits rendus en chiffons empourprés, ses affaires dispersées dans l'herbe et abandonné, un long manche terminé en lance qui supportait un carré de toile épaisse aux armoiries divines…
Les animaux renâclaient, encensaient de la tête et leurs naseaux frémissants sillonnaient l'air devant eux de volutes soufrées. Ils défiaient ainsi les Novices de s'approcher. Le corps à terre finit de s'agiter, toutes convulsions évanouies et la victime n'était plus de ceux qui devaient encore s'inquiéter des sabots qui claquaient sur les pierres, lâchant en rythme des étincelles bleutées.

A quel moment Abibon s'était-il emparé de l'Emblème ? Isa aurait été incapable de le dire. Elle se retrouva simplement à fuir, entraînée par Diboan qui la tenait fermement par la main. Cette fois ils ne cherchèrent pas à contourner le marais. La fange tiède qu'ils foulaient, enfoncés jusqu'aux genoux, délivrait ses bulles de gaz en remugles pestilentiels. Mais un bout de tissu plaqué sur le visage qui leur éviterait l'asphyxie était un petit prix pour leur vie sauve si, comme elle l'avait lu un jour, les animaux hésitaient à s'aventurer sur des terrains incertains.
Ils prirent un peu d'avance tandis que les chevaux préféraient contourner. Heureusement. Leur fuite se changea en mêlée lorsque d'autres Novices qui arrivaient s'essayèrent avec eux à des diversions maladroites. Abibon était la cible des chevaux, aussi continua-t-il vers les baraquements aussi vite que la hampe encombrante le lui permettait. Hélas, il fut tout de même grièvement blessé. Son frère alla aussitôt l'aider. Isa entendit des cris de fureur et de désespoir, la voix de Diboan à peine reconnaissable tant la douleur rendait son timbre étranger… Le pire était-il arrivé ? Elle s'efforça de le rejoindre, le vit ramasser la hampe du drapeau puis foncer, plein de rage, vers le monstre le plus proche. La riposte fut sévère et elle imagina avec horreur des côtes broyées sous la ruade.

Isa ne crut pas un seul instant que ce soit ses minuscules cailloux lancés contre le cuir épais des chevaux, l'impétuosité aveugle de Diboan ou les estocades souvent malhabiles des autres combattants qui amenèrent les gardiens mythiques de l'Arène à battre en retraite. Pourtant les étalons firent demi-tour, sans doute simplement lassés du manège de la horde de bipèdes qui s'acharnaient inefficacement contre eux.
Les secondes se muèrent en soulagement, les minutes en répit. Mais les heures ne se changèrent pas en consolation. Toujours meurtri par la perte de son frère, Diboan erra un moment, comme ivre d'émotions. Puis il y eut cet appel qu'il fut seul à entendre, la nature qui lui délivrait un message. Après l'inquiétude et la colère, ce fut l'espoir qui jeta Diboan sur les traces de son frère. Et il le retrouva, debout et indemne près de l'orée des bosquets : un miracle pour acmé de cette journée hallucinante.



olymp Par Isa Cestia  le 16/11/2009 à 14:38

{Retranscription d'un RP commun, en espérant ne pas en avoir travesti l'esprit. Merci à Diboan resté hélas trop peu de temps sur le jeu.}

Le calme n'était plus troublé que par les vrombissements des insectes qui se pressaient avant la fin du jour et le bruissement de brindilles chahutées par de petits animaux. Fourbue, Isa laissa les deux hommes s'occuper de monter un campement de fortune à l'écart des premiers bâtiments, quelques branchages pour s'étendre et un feu car la température caniculaire de la pleine journée baisserait vite dès que les étoiles se montreraient.

S'ils avaient parlé de leurs passés respectifs une bonne partie de la matinée, le futur immédiat ne semblait pas enchanter l'Homme Sauvage. Avec un certain désappointement, il fit remarquer à Isa qu'ils quitteraient l'Arène le lendemain sans grand espoir de se revoir.

- On dit que les Terres connues ne sont pas si vastes… Lui répondit-elle simplement, sans trop y croire alors qu'il terminait de lui appliquer un onguent sur le bas de ses jambes douloureuses.

Mais le présent de la soirée était bien assez agréable pour qu'ils s'y consacrent largement, oublieux des aléas à venir. Le crépuscule vint et estompa leurs traits, leurs voix se firent un chuchotement tranquille. Le monde tournait désormais autour des brandons qu'Abibon tisonnait et il n’y avait plus qu’eux trois, la flambée et les étoiles qui s’allumaient.

Assis à côté d'elle, Diboan lui parla longtemps du lien entre les astres et les vivants, de la place de toute vie et des énergies qui les reliaient. La lyre de ses mots transcendait les explications en une révélation quasi mystique. Elle se sentait flotter au milieu de ces lucioles intemporelles, elle se fondait en cette nuit, chercha puis trouva l’écho dont il lui parlait, cette pulsation sidérale qui n'appartenait qu'à elle. A cet instant, elle se sentit plus proche des secrets de l’univers qu’elle n’avait jamais osé les imaginer.

- Un pas vers les Dieux… Dit-elle en un souffle.

Elle frissonna et regretta son audace, comme si aller dans cette direction pouvait lui attirer les foudres divines. L’obscurité des Cieux devint un milieu dangereux où elle n’avait pas le droit de se rendre.
Mais la main de l’Homme Sauvage qui jouait doucement avec quelques unes de ses mèches courant sur sa joue, à la fois rassurante et caressante, dissipa la peur qui avait pali son teint et l’ancra de nouveau dans la réalité des simples mortels. Elle était de retour sur la couche, en sécurité. Ses sens réveillés par l’inquiétude soudaine eurent besoin d’être rassasiés pour s’apaiser. L’odeur entêtante du baume, son regard rivé à l’éclat des yeux de Diboan, sa peau à la fois frémissante de la brise fraîche puis réchauffée à son contact, le murmure presque incantatoire qui berçait son âme… Isa parcourut le minuscule chemin qui séparait ses lèvres de celles de l’Homme Sauvage, comme elle aurait voulu goûter un fruit des saisons chaudes. Son geste ne se couvrit pas des fards des jeux de séduction. C’était quelque chose de plus viscéral, qui touchait simplement à la volonté d’un être de se sentir vivant. Quand leurs lèvres se joignirent, son cœur manqua plusieurs battements et si son étoile s'éteignit dans le même temps, ce ne fut que pour réapparaître plus étincelante encore car la vie n'avait jamais coulé plus intensément dans les veines de la jeune femme qu’à cet instant précis.

Mais une nouvelle angoisse sinua en elle comme une onde glaciale. La sensation la fit se redresser, son regard flou et le souffle court. Elle posa une main légère sur la joue de Diboan. Il put sentir qu’elle tremblait un peu. Elle devait dire quelque chose pour lui faire comprendre qu’il était temps qu’ils se séparent, mais les mots mouraient dans sa gorge.

- Il se fait tard… Finit-elle par trouver tout en haut d’une liste de lieux plus que communs. Merci pour tout, Diboan. J’aimerais vous dire que…

Que je n’oublierai jamais cette journée… Aurait-elle pu mentir.

- Que j’ai passé une journée extraordinaire.

Des émotions pesantes s'ajoutaient à la fatigue pour la rendre gauche et elle se leva maladroitement pour récupérer la fine couverture dans son sac abandonné à quelques pas, imaginant déjà comment tout cela pouvait finir. Elle se voyait en train de sortir un bout de parchemin et de l’encre de sa besace, et jeter quelques lignes sur ”la page du soir” d’une plume qui aurait voulu se défendre d'annoncer le renoncement :

Ma sœur,

Si tu savais la journée incroyable que j’ai passée. Il y a tellement à dire ! Trop à dire, en vérité. Je pourrais écrire durant des heures que tu ne comprendrais pas davantage.

Il s’appelle Diboan. Et son frère, celui qui ne parle pas beaucoup, c’est Abibon.

Il est très tard, je tombe de sommeil…


Une phrase en suspend pour y cacher l'excuse et la résignation, sa sœur saurait les trouver et lui pardonnerait. Peut-être. Elle attendrait que l’encre sèche puis, avant de s’endormir, roulerait la feuille en prenant soin de la laisser en évidence dans sa besace pour le lendemain. Le jour se lèverait, son premier geste serait de lire… Sans doute qu’elle adresserait un sourire poli à ces inconnus avec qui elle campait, heureuse de connaître au moins leurs noms. Et une nouvelle journée commencerait, vierge de toute joie comme de toute peine.

Mais Diboan déjoua ses plans. Il fit mine de s'en aller, sans aucun bruit qui ne vint perturber la nuit mais au lieu de rejoindre son frère de l'autre côté du feu, il se jucha sur une branche d'un arbre non loin d'Isa.

Elle avait défait le carré de laine pour le jeter sur ses épaules en liseuse improvisée. La brise nocturne était bien moins agréable maintenant que Diboan s’était éloigné. Elle s’assit en tailleur, son sac de voyage devant elle, collé à ses genoux.
Une étrange impression ne la quittait pas, celle de l'avoir déçu. Aurait-elle pu faire autrement ? Un jour qu’elle se faisait morigéner à trop s’apitoyer sur son sort, Sœur Alys lui avait dit qu’il était bien plus amer de se sentir oublié que de ne pas se souvenir. Cela devait être vrai, c’était elle qui causait le mal.

Elle allait sortir de quoi écrire quand Diboan se mit à parler. Peut-être qu'il s'était mépris, voyant en ses hésitations les barrières culturelles qu'on élevait avec tant d'obstination entre les races. Le plaidoyer de l'Homme Sauvage s'éleva en un murmure doux et chaleureux, cette fois au nom des différences qui étaient dans le même temps obstacles et sources d'énergie, aussi nécessaires et enrichissantes qu'intrigantes. Son discours la toucha encore, comme s'il venait de lui montrer une chose à laquelle elle tenait sans avoir jamais vraiment pu la définir auparavant. Même si cela n'avait pourtant pas de rapport avec ce qui les éloignait ce soir-là, elle eut envie de s'expliquer :

- Je n’ai pas cette haine des autres races, Diboan. J’ai lu bien des livres où il était question de guerre et de destruction. Je peux comprendre qu’on en veuille avec une folle persévérance à ceux qui ont meurtri nos foyers et causé la perte d’êtres chers… Mais je ne le ressens pas moi-même et me refuse à généraliser.
J’ai lu aussi que la nature des mortels pouvait les pousser à trouver n’importe quelle excuse pour grappiller un peu de pouvoir. Les différences en sont d’excellentes, à leurs yeux. Et ce n’est pas valable qu’entre les races. J’ai parcouru une multitude de tomes de politique, et la même hargne semble s’emparer de tous ceux qui visent de quelconques responsabilités. Les castes sont d’aussi sûres discriminations que la taille ou l’apparence : on peut se détester entre Olympiens, je vous l’assure.


Elle soupira, lassée de ce savoir livresque aussi plein de sens que dénué d’intérêt.
Diboan sauta depuis sa branche, retombant agilement à quelques pas d’Isa. Il se saisit d’un minuscule bout de bois qu’il portait autour du cou, attaché à une maigre cordelette de lierre.

- Si tu te sens assez forte pour affronter ces obstacles avec moi, souffle dans cet appeau. Un petit messager viendra chez toi avant de revenir à mon contact. Laisse-lui tes instructions sur un bout de parchemin et je te retrouverai en temps et en heure là où tu l’auras décidé.

Elle réunit ses paumes pour y accueillir délicatement le petit sifflet de bois. A cet instant elle aurait voulu dire à Diboan que l'objet était inutile, qu'elle ne voulait pas le quitter. Ca n'aurait été qu'un vœu pieux. Le jeune homme était à nouveau si près d'elle qu'un simple murmure suffisait à se faire entendre :

- On m’a dit que si j’étais capable d’invoquer un aïeul, alors il pourrait me donner des réponses sur ma propre différence, celle qui fait que je ne peux vous suivre aujourd'hui. Ensuite je l’utiliserai. Je n’ai pas peur des on-dit. Les Dieux règnent sur nous tous et si nous vivons, ce n’est que par Leur Volonté. Ce n’est pas aux mortels de remettre cela en question.

Leurs regards se croisèrent. Diboan inspira profondément, comme s'il voulait retenir leurs subtiles fragrances mêlées aux doux parfums de la nuit. Puis il tourna les talons et s’en alla discrètement rejoindre son frère qui somnolait déjà.

Isa se pelotonna davantage dans sa couverture et sortit de quoi écrire. Les flammes vacillantes du feu un peu plus loin dispensaient une chiche lumière, mais cela n’avait pas d’importance. Elle était épuisée, elle n’écrirait pas beaucoup.
A ce qu’elle avait prévu, elle n’ajouta que quelques mots :

L’appeau est un cadeau de sa part, garde-le précieusement. Il saura te retrouver. C’est important.

L’encre séchée, elle roula le bout de parchemin et le mit à l’abri dans son sac puis elle s’étendit sur sa couche, le regard rivé vers les étoiles. Mais elle ne vit défiler devant ses yeux que les scènes de cette journée. Elle mourait, à sa façon, comme tous les soirs.